Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/1053

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

objet de dégoût pour la population, aux regards de laquelle il a été exposé chaque jour jusqu’à l’heure de sa mort, nécessairement très prompte.

Dans cette ville sans industrie, où campe une armée, dont les habitans sont presque tous soldats, et qui rappelle la Rome de Romulus, la vie se passe entre les jeux publics et les combats. Quand les flibustiers avaient pillé et brûlé les villes naissantes du continent d’Amérique, ils revenaient dans l’une des îles du golfe du Mexique, et là ils prodiguaient en des orgies le produit de leurs rapines. Telle est la règle au Dahomey. Chaque année, au mois de mars, le roi dirige une expédition contre une nation voisine; son armée revient ensuite à Abomey chargée de dépouilles, et alors commence pour elle une série de divertissemens barbares, qui entretiennent dans ses rangs la soif du pillage et le mépris de la vie humaine. Ces divertissemens s’appellent dans le pays « les coutumes, » solennités cruelles qui se terminent invariablement par le spectacle de supplices infligés à des innocens.

La plus éclatante de ces fêtes est celle qu’on célèbre au mois de mai; elle dure plusieurs jours qui sont marqués par diverses cérémonies. On commence par prononcer l’éloge des faits de guerre accomplis dans la dernière expédition et dans les razzias précédentes : on consacre cette journée à l’audition de rapsodes africains, dont la poésie primitive ne manque pas de couleur. Les jours suivans, le roi expose aux yeux du peuple les dépouilles de l’ennemi : c’est une sorte de triomphe où Guezo, précédé et suivi de son armée, de ses femmes et de tous ses serviteurs, promène par la ville les richesses entassées dans le trésor royal. Enfin arrive la grande journée du partage des produits de la guerre et du supplice des prisonniers. Tel est le dénoûment de ce spectacle, auquel le peuple d’Abomey prend part avec une ardeur fiévreuse. M. Forbes croit avoir décrit le premier ces réjouissances de pirates au retour d’un coup de main. Nul ne les a racontées avec plus de détail, mais d’autres en avaient fait la peinture avant lui. Ici encore les récits de M. Bruë et de M. Forbes se complètent l’un par l’autre.

Le 28 mai 1850, M. Forbes, en grand uniforme, se rendit, d’après l’invitation du roi, sur la place du palais. Au centre s’élevait un édifice octogone, orné de cent quarante-huit crânes humains, récemment nettoyés et polis. Le reste de l’espace était occupé par la foule agenouillée et assise sur les talons, tandis qu’une forêt de mousquets aux canons reluisans dominait toutes les têtes. Sous une porte couverte d’un toit, le souverain, vêtu d’une robe de soie richement brochée, les pieds chaussés de sandales revêtues d’argent et la tête coiffée d’un chapeau bordé d’or, se tenait le corps à demi penché et soutenu par une pile de coussins. Derrière lui siégeait la multitude de ses femmes, et l’aspect sombre de toutes ces noires beautés était égayé par des centaines d’ombrelles aux couleurs éclatantes, qui formaient au-dessus des têtes