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demi-victoires. Dans les grandes légendes surnaturelles, les choses sont bien autrement menées ; tout y est tranché, absolu, comme il convient lorsque Dieu s’en mêle. Il était trop tard pour prendre les choses sur un ton aussi élevé : voilà pourquoi, dans la vie de ce dernier des prophètes, tout se passe à demi et par à-peu-près, d’une manière tout humaine et tout historique. Il est battu, il se trompe, il recule, il se corrige, il se contredit. Les musulmans reconnaissent jusqu’à deux cent vingt-cinq contradictions dans le Coran, c’est-à-dire deux cent vingt-cinq passages qui ont été plus tard abrogés en vue d’une autre politique.

Quant aux traits de la vie de Mahomet qui, à nos yeux, seraient des taches impardonnables à sa moralité, il serait injuste d’y appliquer une critique trop rigoureuse. Il est évident que ces actes ne produisaient pas sur ses contemporains, ne produisent pas sur les historiens musulmans la même impression que sur nous. On ne peut nier pourtant que plusieurs fois il ne fasse le mal avec pleine connaissance et en sachant très bien qu’il obéit à sa propre volonté et non à l’inspiration de Dieu. Il permet le brigandage ; il commande des assassinats ; il ment et il permet de mentir à la guerre par stratagème. On pourrait citer une foule de circonstances où il pactise avec la morale dans un intérêt politique. Une des plus singulières assurément est celle où il promet d’avance à Othman le pardon de tous les péchés qu’il pourra commettre jusqu’à sa mort, en compensation d’un grand sacrifice pécuniaire. Il était surtout impitoyable pour les rieurs. La seule femme pour laquelle il se montra rigoureux à la prise de la Mecque fut la musicienne Fertena, qui chantait habituellement les vers satiriques que l’on composait contre lui. Sa conduite envers son secrétaire est aussi infiniment caractéristique. Cet homme, qui écrivait le Coran sous la dictée du prophète, assistait de trop près à son inspiration pour que leur confiance réciproque fût bien vive. Mahomet ne l’aimait pas ; il l’accusait de changer des mots et de dénaturer le sens de ses dictées, si bien que le secrétaire, agité de sinistres pressentimens, s’enfuit et abjura l’islamisme. Après la prise de la Mecque, il retomba entre les mains des musulmans. Mahomet ne se laissa arracher son pardon qu’avec une peine infinie, et, quand l’apostat se fut retiré, il exprima avec humeur aux musulmans son mécontentement de ce qu’ils ne l’avaient pas délivré de cet homme.

Il y aurait aussi quelque injustice à juger en toute rigueur et avec nos idées réfléchies les actes de Mahomet qui, de nos jours, seraient appelés des supercheries. On ne saurait se figurer à quel point, chez les musulmans, la conviction et même en un sens la noblesse de caractère peuvent s’allier à un certain degré d’imposture. Le chef de la secte des Wahhabites, Abd-el-Wahhab, un vrai déiste, le Socin de l’islamisme, n’inspirait-il pas à ses soldats la plus aveugle confiance en leur