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mais bien une religion naturelle, sérieuse, libérale, une religion d’hommes en un mot, n’a rien, je l’avoue, à comparer à ces types admirables de Madeleine, de Thécla, et pourtant cette froide et raisonnable religion eut assez de séductions pour fasciner le sexe dévot. Rien n’est plus inexact que les idées généralement répandues en Occident sur la condition faite à la femme par l’islamisme : la femme arabe, à l’époque de Mahomet, ne ressemblait nullement à cet être stupide qui peuple le harem des Ottomans. En général, il est vrai, les Arabes avaient mauvaise opinion des qualités morales de la femme, parce que le caractère de la femme est exactement le contraire de ce que les Arabes envisageaient comme le type de l’homme parfait. On lit dans le Kitab-el-Aghani qu’un jeune chef de la tribu de Jaschkor, nommé Moschamradj, dans une incursion contre les Temimites, ayant enlevé une jeune fille de noble famille, l’oncle de la jeune fille, Cays, fils d’Acim, alla la redemander à Moschamradj, en lui offrant une rançon. Moschamradj ayant donné l’option à la captive de rester près de lui ou d’être rendue à sa famille, la jeune fille, qui s’était éprise de son ravisseur, le préféra à ses parens. Cays s’en retourna tellement stupéfait et indigné de la faiblesse d’un sexe capable d’un pareil choix, qu’en arrivant à sa tribu il fit enterrer vivantes deux filles en bas âge qu’il avait déjà, et jura qu’il traiterait de même toutes les filles qui lui naîtraient à l’avenir. Ces simples et loyales natures ne pouvaient comprendre la passion qui élève la femme au-dessus des affections exclusives de la tribu ; mais il s’en fallait qu’ils l’envisageassent comme un être mineur et sans individualité. Il y avait des femmes maîtresses d’elles-mêmes, ayant la jouissance de leurs biens, choisissant leur mari et ayant le droit de le congédier quand bon leur semblait. Plusieurs se distinguaient par leur talent poétique et leurs goûts littéraires. N’avait-on pas vu une femme, la belle El-Khansâ, lutter avec gloire contre les poètes les plus célèbres du grand siècle ? D’autres faisaient de leur maison le rendez-vous des lettrés et des gens d’esprit.

Mahomet, en relevant encore la condition d’un sexe dont les charmes le touchaient si vivement, ne fut point payé d’ingratitude. La sympathie des femmes ne contribua pas peu à le consoler, dans les premiers temps de sa mission, des affronts qu’il recevait : elles le voyaient persécuté, et elles l’aimaient. Le premier siècle de l’islamisme présente plusieurs caractères de femmes vraiment remarquables. Après Omar et Ali, les deux principales figures de cette grande époque sont celles de deux femmes, Aïscha et Fatime. Une auréole délicieuse de sainteté brille autour de Khadidja, et c’est vraiment un témoignage bien honorable en faveur de Mahomet, que, par un fait unique dans l’histoire du prophétisme, sa mission divine ait été d’abord reconnue par celle qui pouvait connaître le mieux ses faiblesses. Lorsque au début de sa