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dont on lui paiera le prix de sa journée n’est point encore frappée, et le lingot qui la contient arrivera d’Amérique, si les corsaires n’arrêtent pas le navire. Mais Nino est un gentil garçon, gai, complaisant, paré de ses talens et de ses qualités comme un agneau pascal de ses rubans, et il ramassera peut-être un sac d’écus en même temps que le cœur d’une fille. Voilà comme il est bon à marier.

— C’est la vérité, dit Nino en saluant la compagnie. Je suis un enfant de l’Annonciade. Quand la belle Bérénice aura un carrosse, je courrai devant ses chevaux de Naples à Caserte, sans perdre la respiration. Je sais aussi faire tourner un verre plein sur un cerceau sans renverser une goutte d’eau, et les seigneurs étrangers qui admirent mes petits talens me donnent la bonne-main; et quand je distribue des violettes aux dames devant la porte de la Villa-Reale, il ne m’en reste pas un seul bouquet le soir. La véritable raison pour laquelle je suis bon à marier, c’est que j’ai du bonheur.

— Oui, dit une vieille laveuse, on voit bien à la figure de don Nino qu’il aura toujours du bonheur. Il ne sera pas en peine de trouver une femme, et celle qui lui convient, c’est Giovannina, parce qu’elle a aussi du bonheur, et qu’elle fera une bonne ménagère.

— Dispensez-vous du soin de me choisir un mari, répondit la jeune fille. Et vous, seigneur muletier, au lieu de nous distraire de notre ouvrage, racontez-nous une histoire tandis que nous travaillerons. Vous voyez bien que tout le monde ici a les bras croisés depuis un quart d’heure. Ces conversations avec les jeunes gens ne valent rien.

— Une histoire ! une histoire ! crièrent les laveuses en retournant à la fontaine.

— Vous ne pouviez tomber mieux qu’en vous adressant à moi, dit Annibal. Une éducation soignée est de rigueur dans mon état. Lorsque je mène des voyageurs en Calabre et que nous traversons un pays où règne la malaria, je leur récite des sonnets d’amour ou des contes, pour les empêcher de dormir, car celui qui s’endort est sûr de gagner la fièvre. Écoutez bien l’histoire de la belle Cosenzine, que je raconte toujours en passant à Cetraro.

Les hommes se couchèrent en formant un demi-cercle autour du narrateur, et don Annibal, debout au milieu de l’auditoire, entonna d’une voix forte et sur un mode emphatique, assaisonné de gestes de théâtre, l’histoire de la belle Cosenzine.


II.

Comme la rose parmi des violettes, comme une étoile au milieu de pâles cierges, la belle Cosenzine, resplendissante de jeunesse et de grâce, brillait par-dessus ses compagnes. Ses yeux d’azur répandaient