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s’appuyer sur un savoir profond. Il n’est permis qu’aux hommes vraiment forts de s’égarer sur les traces de Raphaël luttant avec Michel-Ange.

Saint Pierre recevant les clés des mains de Jésus-Christ, destiné d’abord à la Trinité du Mont, et placé aujourd’hui dans la galerie du Luxembourg, est une composition empreinte d’une admirable sérénité. Ici le souvenir de Raphaël n’enlève rien à l’originalité de l’auteur. Toutes les têtes expriment une foi ardente, et le peintre a su varier avec une étonnante habileté la manifestation d’un sentiment unique. Chaque physionomie porte un caractère particulier, et l’étude approfondie de l’Évangile a pu seule révéler à M. Ingres l’air de visage qui appartient à chacun des apôtres. Si j’avais à déterminer la période de la vie de Raphaël à laquelle se rapporte cette belle composition, je nommerais sans hésiter les tapisseries du Vatican. C’est en effet la même simplicité, la même grandeur. Le caractère individuel des têtes n’exclut pas l’idéal. Tous les détails sont traités avec un soin persévérant. Les draperies et les mains sont étudiées d’après nature, et cette lutte courageuse avec la réalité n’ôte rien à la puissance de la pensée. Il ne faut pas croire d’ailleurs que M. Ingres ait copié les tapisseries du Vatican ; il n’en rappelle que le style, et son imagination a gardé toute sa liberté. Bien peu d’hommes aujourd’hui comprennent ainsi la peinture religieuse ; les uns copient seulement les maîtres du XIVe siècle et ne croient pas pouvoir associer la science du dessin à l’expression du sentiment chrétien, d’autres croient faire preuve d’indépendance en copiant la nature telle qu’ils la voient, sans se préoccuper du caractère religieux des personnages. Doué d’une rare sagacité, M. Ingres a su demeurer original tout en s’efforçant d’écrire sa pensée dans le style de Raphaël. C’est à nos yeux la seule manière de comprendre limitation. Aussi le Saint Pierre peut-il servir de modèle à tous ceux qui se proposent de traiter des sujets de même nature. Simplicité de composition, étude attentive de la nature, élévation et pureté de style, tout se réunit pour captiver l’attention, pour émouvoir le cœur, pour charmer les yeux. Pour ma part, je préfère le Saint Pierre au Saint Symphorien, car j’y trouve la même puissance de pensée et le même savoir traduit sous une forme plus modeste.

La Vierge à l’hostie, sans avoir la simplicité du Saint Pierre, mérite cependant les plus grands éloges, car le visage du personnage principal respire une ferveur que les maîtres italiens du meilleur temps ne dédaigneraient pas. Les yeux baissés de la Vierge contemplent avec humilité l’hostie qui pour elle représente le fruit de ses entrailles. Le peintre, désespérant sans doute de trouver pour le regard de Marie une expression assez sublime, l’a caché presque tout entier sous les paupières. Le masque est d’une beauté vraiment divine. Quant aux mains, je l’avoue franchement, je les voudrais jointes d’une manière plus