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Et j’aurais de mes mains taillé dans la saison
Tes mûriers disposés en ligne.

Et je t’aurais aimée, ô perle du Liban,
Comme Jacob aima la fille de Laban,
Comme une épouse chaste et belle,
Car j’ai cru deviner que l’humble voyageur
N’était pas éloigné du chemin de ton cœur.
Jeune fille aux yeux de gazelle !

Mais par-delà ces flots où ton regard se perd,
Au rivage opposé de cette vaste mer,
Sous un soleil triste et sans flamme.
Sous des cieux où le soir est voisin du matin,
Il faut que je retourne, esclave du destin,
Auprès d’une autre jeune femme.

Elle est svelte et brillante et belle comme toi,
Partout, sur son chemin, les cœurs sont en émoi;
Mais qu’elle a fait verser de larmes!
Car son ame est cruelle; elle aime à voir pleurer
Les yeux qui, pour un jour, ont osé s’enivrer
De sa jeunesse et de ses charmes.

Et cependant je l’aime, et m’en vais loin de vous.
Je quitte ton ciel bleu, tes vignes au vin doux.
Et ta maison de beaux jours pleine,
Et tes champs d’aloès, et tes orangers verts,
Et tes heureux jardins à l’abri des hivers.
Pour aller reprendre ma chaîne !

Adieu ! donne ta main à quelque jeune émir,
Près de qui sans effroi tu puisses t’endormir,
Et qui croie au dieu de tes pères,
Qui défende ton seuil des Druses insolens.
Et qui de ses talons sache presser les flancs
Des chevaux aux longues crinières.

Mais songe quelquefois au triste voyageur
Qui sous d’autres climats emporte dans son cœur
Ton image, ô fleur de bruyère,
Nassim, fleur de myrte, orgueil de Broumâhna,
Et qui se souviendra du jour qui l’amena
Devant ta porte hospitalière.


A Broumâhna, dans le Liban.