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Vomero. On jasa et on raconta des histoires. Sans travailler avec moins d’ardeur qu’à l’ordinaire, Giovannina prit part à la conversation et rabattit un peu de sa fierté accoutumée. Quand son ouvrage fut achevé, elle s’approcha du petit lazzarone d’un air gracieux et ouvert.

— Seigneur Nino, lui dit-elle, si vous voulez m’aider et m’accompagner un bout de chemin en portant ma corbeille, vous me ferez plaisir.

— D’où me vient tant de faveur ? répondit Nino. Votre bagage est-il plus lourd aujourd’hui qu’hier, ou bien vous sentez-vous les bras moins forts ?

— Ni l’un ni l’autre, reprit la jeune fille. Je ne sais quelle mouche m’avait piquée hier : je vous ai maltraité, j’en ai regret aujourd’hui, et je veux réparer ma faute.

— N’ayez point de regret, dit Nino ; votre dureté m’a fait chercher fortune ailleurs. Une autre m’a consolé : c’est à elle que je dois mes services.

— Fort bien, seigneur Nino, reprit Giovannina en rougissant. Il est juste qu’une autre meilleure que moi obtienne la préférence. Gardez pour elle vos bons offices, et daignez seulement agréer mes excuses : c’est tout ce que j’avais à vous dire.

En parlant ainsi, la jeune fille promena rapidement ses regards sur le cercle des laveuses. Les yeux de Bérénice, braqués sur elle, lui apprirent clairement où Nino avait trouvé des consolations. Giovannina ne parut ni fâchée ni surprise de cette découverte, et, soulevant avec vivacité sa corbeille et sa secchia, elle s’éloigna d’un pas alerte. Son indifférence était bien jouée, mais ce n’était qu’une feinte. À peu de distance de la fontaine, elle se mordit les lèvres ; deux grosses larmes coulèrent sur ses joues enflammées par la colère, et de tout son cœur elle maudit avec amertume le bon mouvement qui lui avait attiré un affront, car il n’est point de blessure plus sensible à une Napolitaine que celle de l’orgueil. Pour comble d’humiliation, le lendemain, Nino et Bérénice affectèrent de badiner ensemble avec une familiarité que Giovannina considéra comme un nouvel outrage, en sorte que son dépit se monta par degrés jusqu’à un état voisin de la jalousie.

Un incident imprévu vint distraire Giovannina de ces petits chagrins et fixer son esprit sur des intérêts plus sérieux. Le seigneur anglais de qui elle avait reçu de si bons avis passa encore à Naples au retour d’un voyage en Orient. Pour lui montrer qu’elle avait profité de ses instructions, la jeune fille s’empressa de raconter à son protecteur comment elle était devenue la première lavandara de toute la ville, et elle ajouta qu’il lui fallait refuser de l’ouvrage, tant sa façon de blanchir le linge était appréciée des connaisseurs. À son grand étonnement, le seigneur étranger haussa les épaules.