dans l’introduction, je ne m’étonne pas du goût qu’il avait pour Mirabeau. « Il avait, dit M de Bacourt, un tour passionné d’esprit qu’il conservait vingt ans. » C’est par là qu’il avait aimé Mirabeau, c’est par là qu’il avait chéri ce génie, en lui il sentait aussi un cœur. Il l’aimait à la fois comme homme et comme orateur, comme on aime un ami et comme on aime les arts, avec l’affection que l’un inspire, avec le charme que les autres font sentir. C’était autrefois l’attribut des grands seigneurs d’aimer les arts, la littérature, les hommes de génie et les hommes de cœur, tout ce qui ennoblit l’ame, tout ce qui l’émeut du grand côté. La littérature a été la passion du XVIIIe siècle, et il y avait quelque chose de cette bonne passion dans le goût de M. de La Marck pour Mirabeau ; mais M. de La Marck eut le mérite de sentir promptement qu’il y avait dans Mirabeau plus d’un lettré, qu’il y avait un homme, et c’est cet homme qu’il aima sincèrement. Les grands hommes ont souvent des amis qui cherchent à s’approprier un peu de leur auréole : c’est là le principe de l’amitié des coteries. En aimant Mirabeau, M. de La Marck ne songea pas un instant à lui-même. L’élévation de son esprit et son rang dans le monde le préservaient également de chercher à faire les affaires de sa vanité derrière la popularité et le génie de Mirabeau. Je dirai même qu’on sent que M. de La Marck aime Mirabeau de haut, presque de tous les côtés, excepté, si j’ose ainsi parler, du côté de l’amitié, et cette allure est toute naturelle dans M. de La Marck, qui est de maison quasi souveraine, et qui a sur Mirabeau toutes les supériorités de rang et de fortune qui se reconnaissaient entre gentilshommes ; mais il n’en a que plus de mérite, selon moi, à aimer Mirabeau en ami, à reconnaître sa supériorité et son génie, et à comprendre que les temps étaient venus où cette supériorité de génie était une force qu’il fallait apprécier.
Si j’avais besoin de prouver combien l’affection de M. de La Marck pour. Mirabeau était dégagée de tout calcul de vanité et de tout esprit de coterie, j’en trouverais un témoignage incontestable dans la manière dont il vivait avec lui : il ne le flattait pas, il ne le singeait pas. Quiconque connaît un peu le manège des coteries voit à ces deux signes que M. de La Marck ne mettait ni sa vanité ni son ambition à être l’ami de Mirabeau. Loin de chercher à l’imiter, il le contredisait volontiers et prenait le contre-pied des thèses que Mirabeau soutenait dans la conversation, et à ce propos M. le La Marck raconte une belle et touchante parole de Mirabeau mourant. Un jour, dans un de leurs entretiens, on s’était mis à parler des belles morts, soit dans l’antiquité, soit dans les temps modernes, et là-dessus Mirabeau, s’échauffant, avait été fort éloquent sur les morts dramatiques ; il y avait pourtant un peu d’emphase dans son éloquence, ce qui fit, dit M. de La Marck, que, par habitude et par conviction, je pris aussitôt le côté opposé de