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clergé, qui s’étaient, il faut en convenir, laissé dépasser pendant plusieurs années, ont repris dignement leur place dans les sciences historiques et ont donné une foule de travaux marqués tout à la fois au coin du véritable esprit chrétien et de la saine critique; l’université elle-même, malgré sa torpeur, a suivi le mouvement. Les arts du dessin ont produit des chefs-d’œuvre, tels, par exemple, que les monographies de la cathédrale de Chartres et de l’église de Brou, par MM. Didron, Lassus et Dupasquier, les Vitraux de Bourges de MM. les abbés Martin et Cahier. La restauration de Notre-Dame de Paris et celle d’une foule d’autres monumens religieux prouvent que les bonnes traditions des arts architectoniques sont encore vivantes parmi nous. La technologie archéologique a marché du même pas; de simples ouvriers sont devenus, comme ceux du moyen-âge, de véritables artistes, et nous comptons aujourd’hui, tant à Paris que sur divers points de la province, plusieurs ateliers de vitraux peints; cinq briqueteries pour la fabrication des carreaux vernissés, genre mosaïque; trois grands ateliers de menuiserie gothique, et une forge pour l’imitation de la ferronnerie du moyen-âge. Il suffit de jeter les yeux sur les listes de souscription d’une foule d’ouvrages publiés dans les départemens pour être convaincu que le goût des lectures historiques tend chaque jour à se populariser davantage, et comme la plupart des monographies locales sont rédigées dans un excellent esprit, il y a là pour l’avenir un symptôme rassurant; car il est à remarquer qu’une différence profonde sépare aujourd’hui les travaux historiques publiés dans la province des travaux du même genre qui paraissent à Paris. Il y a quelques années à peine, cette différence pour les départemens consistait surtout dans leur infériorité scientifique. Cette infériorité tend chaque jour à disparaître, et, pour bien des publications même, l’équilibre est parfaitement établi. Il y a plus encore, on acceptait en province, comme articles de foi, toutes les opinions, tous les jugemens qui émanaient de la capitale; on répétait souvent, d’une manière malencontreuse, ce qu’on avait lu, en se retranchant derrière la vieille formule : « Le maître l’a dit. » Aujourd’hui la province soumet à un contrôle sévère les travaux de la science parisienne, et elle les critique souvent avec raison. La seule différence notable est dans les tendances morales. Les écrivains qui vivent dans les départemens n’ont pas, comme un grand nombre de ceux qui vivent à Paris, cette soif ardente de popularité à laquelle on sacrifie trop souvent l’honnêteté des convictions et la conscience même; ils ne cherchent point à flatter les partis pour se créer des prôneurs; ils ne spéculent pas sur les passions mauvaises pour les exploiter à leur profit, et s’ils manquent de ce vernis brillant que la vie parisienne donne à toutes les choses, aux manières comme au style, ils ont du moins une qualité précieuse que le séjour des grandes villes ne développe guère, et cette qualité de jour en jour plus rare, surtout chez les gens d’esprit, c’est tout simplement le bon sens. En histoire comme en politique, Paris se précipite sans cesse vers les extrêmes : les uns réhabilitent la Saint-Barthélémy, les autres 93. Dans la province, en politique comme en histoire, on est sévère pour tous les excès, qu’ils aient été commis au nom rn du peuple ou au nom des rois; et s’il fallait indiquer par un seul mot le parti auquel se rattachent la plupart des érudits dont nous venons d’examiner les travaux, nous dirions que ce parti est à la fois conservateur et progressiste.


CHARLES LOUANDRE.