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2,600 livres; on en compte en 1851 373, dont l’entretien coûte 115,000 livres. Il y avait 5,642 milles de routes tracées pour la poste; il y en a maintenant 178,670. Il n’y avait point du tout de canaux; il y en a maintenant 5,000 milles, qui représentent un capital de plus de 32 millions sterling. On peut se figurer l’importance de cette branche de l’activité américaine à l’aide du rapprochement suivant : il y a en Amérique un mille de voie canalisée par 5,000 habitans; il n’y en a qu’un par 9,000 en Angleterre, un par 13,000 en France. Il n’y avait enfin ni navigation à la vapeur, ni chemin de fer; ce sont aujourd’hui les deux grands triomphes de l’Union. L’Hudson et le Mississipi sont devenus les artères de la plus grande circulation qu’il y ait sur aucun fleuve du monde. Les magnifiques bateaux de l’Hudson, tout ornés de velours et de soie, de tapis et de glaces, font près de 20 milles à l’heure, et reçoivent les voyageurs à bas prix, sans que ceux-ci aient même en retour à courir la chance des explosions trop fréquentes sur les bateaux du Mississipi. Le premier chemin de fer américain fut inauguré au mois de décembre 1829; en 1849, les railways couvraient une étendue de 6,565 milles qui avait absorbé un capital de plus de 53 millions sterling. En 1851, les lignes exécutées ou en voie d’exécution vont à 10,287 milles, les lignes en projet à 9,632. Dans peu d’années, le réseau des chemins de fer américains se développera sur une longueur de 20,000 milles. L’imagination reste confondue devant ces monumens incessamment accrus d’une énergie dévorante. Il y a là une puissance d’action dont nul ne saurait prévoir la portée.

Passons maintenant de l’autre côté de l’Atlantique. L’Anglo-Saxon de la mère-patrie ne le cède point en ardeur entreprenante au cousin Jonathan. Regardons-le faire dans cette même industrie des grandes voies de communication, qui est comme le théâtre, comme l’arène où se déploieront désormais les rivalités politiques. Les ingénieurs et les ouvriers anglais sont maintenant à l’œuvre partout. Il y avait au moyen-âge des corporations nomades qui bâtissaient des églises en tout pays : je ne veux pas dire que les chemins de fer soient les constructions religieuses des générations futures; mais ce qu’il y a de sûr, c’est que les Anglais sont bien les serviteurs nomades et cosmopolites de cet art nouveau. On entamait l’autre jour la première tranchée du premier railway norvégien; c’est une spéculation soutenue par l’argent et par les bras de l’Angleterre. La semaine suivante arrivait à Londres la nouvelle d’une concession de ligne faite par le gouvernement pontifical à une compagnie anglaise. Enfin le traité relatif à l’ouverture d’un railway dans l’isthme de Suez est à peu près conclu, et l’entreprise échoit, dit-on, au même ingénieur qui a déjà la charge des travaux de Norvège. Il est je ne sais quel prestige dans cette ubiquité de la richesse, de la science et de la volonté britanniques. Le prestige devient en vérité magique, s’il faut prendre au pied de la lettre le gigantesque prospectus dont le Times assumait l’autre jour la responsabilité : le voyage de l’Inde en sept jours, sept jours pour aller sans arrêter de Londres à Calcutta! Il ne s’agirait de rien de moins que de refaire, au moyen des railways, les routes, abandonnées depuis des siècles, qui menaient jadis au fond de l’Orient à travers le continent européen et le continent asiatique. Ce serait en sens inverse une révolution aussi considérable que celle qui suivit la découverte du cap de Bonne-Espérance, lorsque la rapidité plus grande de la voie