mains d’une puissance particulière qui aspire à donner des lois à la puissance publique, et dont un de ses plus éminens défenseurs a dit naguère encore : Il faut qu’elle ne soit pas ou quelle règne.
A la fin de l’année 1817, M. Royer-Collard accusa pour la première fois un léger dissentiment avec le ministère. Le gouvernement proposait une loi sur la presse et déférait les crimes de celle-ci au jury, en réservant les simples délits aux tribunaux correctionnels. M. Royer-Collard voulut que les jurés fussent aussi les juges du délit. Il ne croyait pas par là diminuer ou affaiblir le gouvernement, mais au contraire l’asseoir sur une base plus large et plus solide, et il donna dans ce discours un des plus beaux modèles de l’éloquence appliquée aux choses abstraites. Après avoir établi que l’appréciation d’un délit était nécessairement arbitraire, puisque le délit échappait à toute définition précise et évidente d’elle-même, il ajouta que cet arbitraire inévitable ne devait pas être déposé dans les mains d’un pouvoir permanent, que la société repose à la fois sur les lois et sur les jugemens, qu’une nation qui obéit à des lois quelle n’a point consenties peut être sagement gouvernée, avoir de bons rois, de grands rois, fleurir au dedans et acquérir de la gloire au dehors, mais qu’elle n’est point libre; qu’ainsi un peuple qui, dans les jugemens criminels, ne protège pas lui-même la vie, l’honneur, la sûreté de chacun de ses membres, peut avoir des magistrats éclairés et vertueux, mais ne jouit pas de la liberté politique, qu’il est sous le glaive. « Députés et jurés, poursuivait-il, vous avez même origine et vous êtes marqués du même sceau; le même nœud vous rassemble; le même dépôt vous est confié. Députés, vous êtes le pays qui concourt aux lois; jurés, vous êtes le pays qui concourt aux jugemens. C’est pourquoi le jugement par jurés s’appelle en Angleterre le jugement du pays ou par le pays, per patriam... La licence des opinions particulières n’est efficacement réprimée que par l’énergie de l’opinion générale et de la raison publique, et des jurés seuls en sont les organes légitimes et surtout les organes écoutés[1]. »
On voit que l’orateur s’écarte ici beaucoup du langage qu’il faisait entendre lorsqu’il disait que l’opinion d’une nation doit être cherchée dans ses véritables intérêts, que les intérêts sont un gage bien plus sûr de l’opinion que l’opinion ne peut l’être des intérêts, et que nous avions le triste avantage d’avoir appris ce que gagnent les nations à être fortement et pleinement représentées[2] ; mais au fond il ne se démentait pas. Quand les partisans de l’ancien régime, en majorité dans la chambre, prétendaient s’appuyer sur la nation, il préférait à l’opinion de la nation ainsi représentée ses intérêts véritables; quand l’état