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travail. La nation est désaccoutumée au travail. » Et ailleurs, « le peuple ne jugera la révolution que par ce seul fait : lui prendra-t-on plus ou moins d’argent dans sa poche ? vivra-t-il plus à son aise ? aura-t-il plus de travail ? le travail sera-t-il mieux payé[1] ? » Voilà les questions qu’un gouvernement doit tâcher de résoudre dans l’intérêt général, au lieu de s’occuper sans cesse à se créer et à s’organiser. Qu’est-ce qu’une machine qui dépenserait toute sa force à faire jouer ses ressorts sans produire par son mouvement aucun effet extérieur et utile ? Ce serait une fort mauvaise machine : tel est le gouvernement populaire direct. Il consume son temps et sa force à se mettre en action, et son action ne produit aucun effet, lors même qu’elle est régulière et calme. Mais ce calme même et cette régularité sont une pure hypothèse. Les passions du peuple l’emportent sans cesse sur les lois qu’il s’est données. Il suffit même qu’il se les soit données pour qu’il n’en tienne pas compte. Il y a un vieux proverbe qu’il ne faut pas que ce soit le cheval qui se mette lui même le frein dans la bouche, car il le mettra de manière à n’être guère contenu, et malheur au cavalier qui montera un cheval ainsi bridé !

Avant de faire la révision, il faut donc avoir une autre assemblée, et, pour avoir une autre assemblée il faut aussi avoir un autre esprit public ; il faut combattre par les mesures qu’indique Mirabeau la détestable influence des institutions maladroitement républicaines que l’assemblée nationale a données à une société qu’elle voulait laisser monarchique. Parmi ces mesures, une des premières est de ne pas laisser le gouvernement à Paris. Paris peut, dans des temps tranquilles, être le siége du gouvernement ; mais, dans un temps comme celui où vivait Mirabeau, Paris est un séjour fatal et désastreux où personne n’a sa liberté, ni le roi, ni l’assemblée, et où le premier venu, sous le nom du peuple, opprime tout le monde. « .Le lendemain du jour où le roi fut conduit ou plutôt traîné aux Tuileries, Mirabeau vint de très bonne heure chez moi, dit M. de La Marck. Si vous avez quelque moyen, me dit-il en entrant, de vous faire entendre du roi et de la reine, persuadez-leur que la France et eux sont perdus, si la famille royale ne sort pas de Paris[2]. » Aussi le premier mémoire adressé par Mirabeau au roi roule tout entier sur la nécessité de quitter Paris et sur les dangers d’y rester. « Si Paris a une grande force, dit Mirabeau, il renferme aussi de grandes causes d’effervescence ; sa populace agitée est irrésistible. L’heure approche, les subsistances peuvent manquer, la banqueroute peut éclater. Que sera Paris dans trois mois ? Certainement un hôpital, peut-être un théâtre d’horreurs. Est-ce

  1. Tome Ier, p. 366 et tome II, p. 213.
  2. Tome I, p. 119.