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élevé, et qui était le premier orateur politique de ce temps. On se rappelle encore l’effet de sa parole sur l’assemblée, l’attente que produisait dans tous les rangs l’annonce d’un de ses discours, les bancs qui se remplissaient tout à coup, le silence qui s’établissait, l’attention profonde qui s’attachait à tous les mots et à tous les gestes de l’orateur. M. Royer-Collard, le cahier à la main, pour ne pas jouer frauduleusement le rôle d’un improvisateur, ne lisait cependant pas son discours, mais le récitait d’un accent animé, convaincu, impérieux; un murmure d’approbation circulait dans l’auditoire; une explosion d’enthousiasme éclatait à la fin du discours et suspendait la séance. D’autres ont eu ce genre de succès; mais un avantage qui n’appartient qu’à lui, c’est que, par la nouveauté et le poids de ses argumens, il changeait le cours de la discussion : il l’établissait sur un terrain nouveau qui devenait à l’instant même le commun champ de bataille. Toutes les anciennes raisons étaient perdues de vue; il avait élevé un nouvel étendard, que les uns cherchaient à soutenir, et que les autres voulaient abattre, mais au pied duquel se passait désormais tout le combat.

M. Royer-Collard déclara dans son discours de réception à l’Académie, prononcé le 13 novembre 1827, que, touché de l’honneur qu’il recevait, il ne l’avait cependant point cherché, « parce que les pensées de l’homme public sont trop graves et ses devoirs trop saints pour admettre un partage entre le soin de bien faire et celui de bien dire. » Il voulait qu’il fût bien entendu qu’il n’avait pas composé ses discours comme des morceaux d’éloquence, mais comme des actes de sa vie politique. Et en effet il répétait souvent qu’il n’avait pas eu le temps d’écrire de manière à se satisfaire lui-même. Il n’exceptait de cet arrêt que son discours d’ouverture prononcé à la Faculté des lettres à la fin de 1813, et ses discours sur la loi du sacrilège et sur la loi contre la liberté de la presse, dont nous avons cité quelques passages. Comme tous les grands écrivains, il se faisait une très haute idée des difficultés de l’art d’écrire. S’il n’avait pas été obligé de porter la parole en public, c’est-à-dire d’agir par la parole, il est probable qu’il n’aurait jamais écrit. M. Royer-Collard ne consentait à rien dire médiocrement. Nourri de la lecture assidue des grands écrivains du XVIIe siècle, il semblait se demander, lorsqu’il avait à produire une pensée, comment l’aurait exprimée un de ces maîtres de la parole et en particulier Bossuet. Écrivant, pour ainsi dire, sous les yeux d’un si sévère témoin, il retranchait tout ce qui aurait pu choquer ses regards. Il ne souffrait rien de bas, rien de commun, rien de lâche : chaque mot devait avoir sa vertu. Les expressions recevaient de la netteté et de la couleur; les images étaient appropriées à la signification naturelle des termes; les périodes prenaient de l’ampleur et de la majesté. M. Royer-Collard est de la famille des écrivains du grand âge de notre