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métayers au moment du repos, et qu’il trouva remplie de paysans : « Mes amis, je viens mourir au milieu de vous. J’ai voulu vous revoir encore une fois, m’occuper de pourvoir à vos besoins de cet hiver et vous faire profiter des dépenses et des libéralités inséparables même des plus simples funérailles. » Il se fit porter dans sa chambre et n’en sortit presque plus; il n’admit auprès de lui que le médecin et le curé. Il dit à celui-ci : « Ne demandez pas au ciel pour moi la guérison; demandez-lui la patience et la soumission, » et il ne s’occupa plus que des préparatifs de sa mort, disposant lui-même soit les objets qui devaient servir aux cérémonies funèbres, soit les dons qu’il voulait laisser après lui. Il n’entretint sa pensée que de méditations sur le moment suprême, et l’on trouva, quand il ne fut plus, tous ses livres marqués par les signets aux passages qui traitent de la mort.

Lorsque sa famille vint le rejoindre, il ordonna que son gendre[1] fût d’abord admis seul auprès de lui. Il voulait compter exactement le nombre de momens qu’il lui restait à vivre; il exigea une réponse sérieuse et comme on la doit faire à un homme qui ne craint pas la mort: il l’obtint, et fut confirmé dans l’opinion que sa fin était prochaine. Il reçut alors le reste de sa famille; il fixa lui-même la nuit où l’on devait lui donner les sacremens, fit dresser un autel dans sa chambre par les mains de ses proches, et il leur disait avec sérénité : « Je suis pas à pas les progrès de ma mort, j’apprends petit à petit à me séparer de toutes choses; je me vois déjà dans le cimetière du village, et je m’y mets. »

La dernière nuit était arrivée : il n’avait rien perdu de la fermeté de son cœur et de la force de son esprit. Sa famille se rangea dans sa chambre, calme, recueillie, en silence, laissant tomber de furtives larmes, et retenant des sanglots qu’il n’aurait pas permis. Il se fit lire les prières des agonisans par son petit-fils, lui pressant le bras pour ralentir la lecture ou pour marquer les endroits qui le touchaient le plus. Il lui dit pour dernières paroles : « Il n’y a dans ce monde de solide que les idées religieuses; ne les abandonnez jamais, ou, si vous en sortez, rentrez-y. » L’un des rideaux de son lit ayant été dérangé par les mouvemens des personnes qui l’assistaient, il dit : « Ce rideau n’est pas en ordre. » Après ce mot, qui le montre conservant jusqu’au dernier moment sa tranquillité d’esprit, son amour de la règle, il rendit à Dieu une ame maîtresse d’elle-même. Le matin des funérailles, sa fille et son petit-fils voulurent rendre de leurs propres mains le dernier devoir à leur père, suivant la forte éducation qu’ils avaient reçue de lui, et suivant le désir qu’ils devaient lui supposer; mais ils rencontrèrent le médecin qui leur dit : « C’eût été trop; je vous ai

  1. M. Andral.