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jusqu’où iraient les fureurs populaires, qu’enfin la guerre civile était le seul moyen pour rétablir l’autorité légitime du roi. Cette guerre l’effrayait moins que les horreurs qu’il prévoyait ; car la guerre, disait-il, retrempe les ames et leur rend l’énergie que les calculs de l’immoralité leur ont fait perdre. » Mirabeau croyait donc la guerre civile inévitable, et même il la souhaitait pour éviter de plus grands malheurs : il pensait surtout que « la guerre civile était le seul moyen de redonner des chefs aux hommes, aux partis, aux opinions. » Mot profondément vrai et qui témoigne une fois de plus de ce sens pratique et décisif que j’admire en lui. Avec ces idées, il cherchait comment et avec quelle force faire la guerre civile, et il conseillait au roi et à la reine « de s’assurer d’un noyau de force par l’armée[1]. » Non pas qu’il demandât qu’on réunît des corps d’armée : ces réunions de soldats étaient des prises offertes à l’anarchie ; il voulait qu’on s’assurât de quelques corps de troupes ou même qu’on les composât, mais « en idée, en intention, in petto seulement, et qu’on choisit d’avance, in petto aussi, le général qu’on mettrait à la tête de chacun de ces corps. » Il voulait enfin qu’on fût prêt, et qu’au moment où le roi quitterait Paris, il eût dans la main une force active et dévouée ; mais, avant tout, il fallait quitter Paris, car à Paris la sédition est irrésistible, et l’armée n’est pas inébranlable.

Il y a de plus à Paris un grand élément de faiblesse pour le bouleversement, c’est la garde nationale. Mirabeau est un adversaire décidé de l’institution de la garde nationale, et l’avenir dira à qui cette opinion de Mirabeau doit faire tort, à Mirabeau lui-même ou à la garde nationale. « C’est sous une infinité de rapports, dit-il, que je considère la garde nationale de Paris comme un obstacle au rétablissement de l’ordre. La plupart de ses chefs sont membres des jacobins, et, portant les principes de cette société parmi leurs soldats ils leur apprennent à obéir au peuple comme à la première autorité. Cette troupe est trop nombreuse pour rendre un esprit de corps, trop unie aux citoyens pour oser jamais leur résister, trop forte pour laisser la moindre latitude à l’autorité royale, trop faible pour s’opposer a une grande insurrection, trop facile à corrompre, non en masse, mais individuellement, pour n’être pas un instrument toujours prêt à servir les factieux, trop remarquable par son apparente discipline pour ne pas donner le ton aux autres gardes nationales du royaume ; avec lesquelles son chef a la manie de correspondre[2]. » Non-seulement Mirabeau croit que la garde nationale est dangereuse, il croit même que l’ardeur et le zèle que les Parisiens mettent à remplir leurs devoirs de soldat et d’officier

  1. Tome Ier, p. 126, 127 et 137.
  2. Tome II, p. 418.