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d’ailleurs que les chambres de ce bâtiment si fin voilier sont on ne peut plus coquettement et commodément disposées; j’en parle pour les avoir examinées moi-même, et non sans un léger sentiment de satisfaction nationale, car c’est au Havre que les aménagemens intérieurs de l’America ont été établis.

On a cru jusqu’à présent que plus un yacht pouvait porter de toile, et plus il devait marcher vite; on ne réfléchissait pas assez qu’un navire penché sous le poids du vent, courbé sous son immense voilure, le nez dans l’écume et le flanc presque entièrement engagé dans la vague, ne peut pas avancer aussi facilement que s’il était dans les conditions voulues pour la marche, c’est-à-dire en équilibre et fendant l’eau avec sa quille. L’America porte peu de voiles; mais, ce qui vaut mieux, elle glisse sur la mer. et personne, même pendant un gros temps, n’est mouillé sur son pont. Ses voiles en coton sont plus légères, et conséquemment plus faciles à manœuvrer que les voiles en fil dont on fait usage dans la marine anglaise; elles ont de plus l’avantage de présenter une trame serrée et une surface très résistante à la pression du vent. J’ai déjà dit que, pendant la course, les voiles de l’America étaient raides et tendues, alors qu’on voyait celles des autres yachts toutes gonflées et comme près de se déchirer. Les mâts du célèbre schooner sont extrêmement inclinés en arrière et d’égale grandeur: ils ne portent pas de mâts d’en haut. On ne trouverait pas dans tout le gréement de ce navire une manœuvre, une poulie seulement qui ne fût d’une indispensable nécessité.

Il y a dans tout ceci matière à réflexion. L’Amérique, qu’on nous pardonne ce jeu de mots, est bien de nature à faire réfléchir l’Angleterre. «C’est la seule nation à craindre pour nous, » disait Cobden l’année dernière. — «Nous n’avons aucun souci des autres pays, répétait fièrement M. Hume devant ses commettans il y a un mois; mais prenons garde aux États-Unis! » Or voilà qu’au moment où une goélette de New-York renverse toutes les idées nautiques des Anglais à Cowes, et bat leur flotte; à plate couture devant leur reine, un Américain découvre à Londres l’impénétrable secret de Brahma, et ouvre ses serrures comme par enchantement. Je sais bien qu’à la place des Anglais, je ne serais pas sans quelque inquiétude, et que je ne parlerais pas tout-à-fait si haut dans l’allaire de Cuba.

Malgré l’éclatant triomphe de l’America, et surtout afin de savoir comment ce navire se conduirait par un grand vent et une forte mer, M. Stephenson, le capitaine du yacht Titania, défia le Flying stranger quelques jours après la course que je viens de raconter, en proposant à son propriétaire, il est vrai, d’assez singulières conditions. Il ne s’agissait plus du tout de l’île de Wight, mais d’une course en pleine mer et par un gros temps. Le commodore du Royal-yacht-Squadron fut prié