Nous n’avons pas cru devoir reculer devant les détails techniques de l’étude à laquelle nous venons de nous livrer : c’est ainsi seulement que l’on arrive à connaître et à comprendre le caractère vrai d’une législation. Il faut remonter au point de départ et suivre patiemment les différentes évolutions de la loi, car tous les faits s’enchaînent, et les réformes s’opèrent avec une régularité et une rectitude presque infaillibles, tantôt lentement, tantôt hardiment et vite, selon les progrès de la prospérité nationale. Bien différentes des révolutions politiques qui s’élancent impétueusement et à l’aventure dans les espaces de l’inconnu, les réformes qui s’accomplissent dans l’ordre des intérêts matériels obéissent à une direction naturelle et logique ; elles marchent humblement dans l’obscur sentier que la raison leur trace ; elles avancent d’un pas modeste, mais sûr, et dès qu’elles arrivent au but, elles se manifestent enfin par des résultats éclatans. Elles s’expliquent alors par le simple exposé des faits ; c’est en se racontant qu’elles se justifient et qu’elles paraissent réellement grandes et fécondes. Tel a été le sort de la réforme des lois maritimes en Angleterre.
À entendre certains économistes, il faudrait croire que la Grande-Bretagne n’a eu d’intelligence et de bon sens que le jour où, supprimant toute mesure restrictive en matière de navigation et de commerce, elle a consenti à ouvrir ses marchés et ses ports à la concurrence de tous les peuples. Combien de fois en France surtout, où ces sortes de questions n’ont pas le don de captiver l’attention publique, n’a-t-on pas attribué les réformes anglaises à l’influence invincible d’une pure théorie, à la révélation presque miraculeuse d’une foi nouvelle, dont M. Cobden dans les meetings populaires, et sir Robert Peel dans les conseils du gouvernement, s’étaient constitués les fervens apôtres ! Singulière méprise que doit confondre l’impartial examen des faits ! L’Angleterre n’a renoncé à protéger son industrie et sa marine qu’après avoir fermement établi sa supériorité sur les autres peuples ; c’est par la route étroite de la protection qu’elle est arrivée au vaste marché du libre échange et qu’elle s’y maintiendra sans péril. L’historique que nous avons présenté ne prouve-t-il pas en outre que la récente application du système libéral, loin d’être le résultat d’une illumination subite, d’un éclair de la théorie, a été au contraire préparée et annoncée par les mesures législatives successivement adoptées depuis plus de vingt ans ? Il n’est donc pas exact d’attribuer aux théories absolues du libre échange les réformes de la Grande-Bretagne ; la protection a abdiqué, parce que sa mission était accomplie ; elle n’a pas été vaincue par un principe rival.