Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En attendant que nous puissions juger dans leur ensemble ces vers vraiment hardis où l’ame s’exerçait à dédaigner les tortures du corps, nous publions ici une série de pièces qu’il nous a été donné de lire avant l’Allemagne elle-même. Il y a certainement une inspiration très nouvelle dans la forme de ces poésies. Ce n’est plus le style des premiers recueils de M. Heine; ce n’est ni la manière romantique, ni la grace des poètes souabes, c’est un accent héroïque, un langage aux fières allures, même au milieu des inventions les plus plaisantes, quelque chose de solide et de sonore comme le chant de l’épopée. « Si tu as été victime d’une trahison, — s’écrie le poète à la première page, — sois d’autant plus fidèle. Et si ton ame est couverte du voile de la mort, saisis la lyre. Les cordes résonnent! c’est un chant héroïque plein de feu et de flammes! Aussitôt ta colère se fond, et le sang de ton cœur s’écoule sans souffrance. » C’est une série de chants héroïques que M. Henri Heine a eu l’intention d’écrire; mais qu’est-ce que l’intention d’un humoriste? Le poète est-il bien assuré de pouvoir tenir sa promesse? Qu’il la tienne ou qu’il l’oublie, nous savons au moins ce qu’il a voulu; il a parcouru le monde, chantant non pas seulement les prouesses des chevaliers, mais maintes histoires des anciens jours et des jours récens, tout un romancero qui embrasse l’Orient et l’Occident, tout un cycle étrange qui va du fond de la vieille Asie au fond de la jeune Amérique. Si les grâces et la vigueur de l’original ne sont pas trop effacées dans une traduction, on remarquera surtout le contraste de la gaieté satirique de l’auteur et des souffrances auxquelles il est en proie. Joyeusement fantasque dans Rhampsénit et l’Éléphant blanc, animé d’une inspiration tendre et profonde lorsqu’il écrit le Champ de bataille d’Hastings, Rudel et Mélisande, Charles Ier, il réunit ces deux tendances contraires dans l’étrange et vigoureux poème qu’il intitule Vitzliputzli. On n’apprécierait pas exactement ces singularités hardies, on ne saisirait pas, comme il convient, le caractère et la physionomie de l’écrivain, si l’on ne se rappelait cet esprit intrépide triomphant des plus atroces douleurs par les libres élans de sa fantaisie, si l’on ne se représentait ce poète chantant sur son lit de mort et ne demandant à Dieu que deux années, fût-ce deux années de tortures, afin de terminer les Mémoires par lesquels il voudrait couronner sa vie.


RHAMPSÉNIT.

Lorsque le roi Rhampsénit entra dans les salons dorés de sa fille, sa fille riait, toutes ses femmes riaient avec elle.

Les noirs aussi, les eunuques, joignaient leurs rires au sien. Tout riait, même les momies, même les sphinx, au point qu’ils pensaient en crever.

La princesse dit : «J’ai cru un instant saisir le voleur du trésor, mais il m’a laissé un bras mort dans la main.

Je comprends maintenant comment le voleur pénètre dans tes demeures secrètes et te dérobe tes trésors malgré serrures, verrous et crochets.

Il possède un passe-partout enchanté; les portes les plus solides n’y résistent pas.