Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Grande colère à la cour contre Mirabeau ; plaintes de M. de La Marck à celui-ci. Mirabeau lui répond : « Hier, je n’ai point été un démagogue ; j’ai été un grand citoyen et peut-être un habile orateur. Quoi ! ces stupides coquins, enivrés d’un suces de pur hasard, vous offrent tout platement la contre-révolution, et l’on croit que je ne tonnera pas En vérité, mon ami, je n’ai nulle envie de livrer à personne mon honneur et à la cour ma tête. Si je n’étais que politique, je dirais : — J’ai besoin que ces gens-là me craignent si j’étais leur homme, je dirais : Ces gens-là ont besoin de me craindre ; — mais je suis un bon citoyen qui aime la gloire, l’honneur et la liberté avant tout, et certes, messieurs du rétrograde me trouveront toujours prêt à les foudroyer. Hier j’ai pu les faire massacrer ; s’ils continuaient sur cette pente, ils me forceraient à le vouloir, ne fût-ce que pour le salut du petit nombre d’honnêtes gens d’entre eux… Vous avez une manière très simple de vous tirer de l’embarras dont vous me parlez et que je ne comprends pas bien, c’est de montrer mon billet. Vale et me ama[1]. » Quel billet ! qu’en croire et que n’en pas croire ? Il y a là un mélange de vrai et révolutionnaire sincère et de révolutionnaire prémédité qui peint Mirabeau et son genre de relations avec la cour. Il est sincère quand il dit qu’il combattra partout la contre-révolution et messieurs du rétrograde : sa passion et sa politique s’accordent sur ce point ; mais l’est-il quand il dit si lestement qu’il aurait pu les faire massacrer, et qu’on le forcera à le vouloir ? Quel langage ! Et pourtant Mirabeau dit d’un ton cavalier à M. de La Marck de montrer son billet. Quelle idée voulait-il donc que la cour prît de lui ? Il prétend qu’il ne veut pas faire peur ! Que veut-il avec de pareilles paroles, sinon faire craindre tout de lui et valoir tout son prix par la terreur, puisqu’il ne peut pas le valoir par ka confiance ? C’est à dessein, quoique à regret, que je me sers de ces mots : valoir tout son prix. En parlant comme il le faisait dans ce billet fait pour être montré, je suis persuadé que Mirabeau s’enchérissait, non pas pour avoir plus d’argent (il n’en voulait que par goût de prodigalité), mais pour avoir plus d’autorité.

Ces fanfaronnades de cruauté faisaient-elles l’effet qu’il en attendait ? Non. Un billet de l’archevêque de Toulouse, qui servait d’intermédiaire à M. de La Marck auprès de la reine, nous montre l’impression que produisaient ces violences de langage : « Je vous renvoie le billet du comte de Mirabeau, écrit l’archevêque de Toulouse à M. de La Marck ; je vous avoue qu’il me fait horreur. S’il ne prouve pas ce qu’il pense, il fait voir jusqu’où peut aller son imagination, lorsqu’il est dans ce que vous appelez ses par-delà. Je crois que, pour sa gloire, vous devez brûler ce billet, ou plutôt le conserver pour lui faire honte,

  1. Tome II, p. 251.