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Qui se glisse effrayé dans les buissons fait le signe de la croix à mon aspect, et s’écrie avec terreur : Un revenant ! un revenant de l’ancien monde !

« Singe, ne crains rien; je ne suis pas un revenant, je ne suis pas un fantôme. La vie bout dans mes veines; je suis le fils le plus fidèle de la vie.

Cependant, par suite d’un commerce de longues années avec les morts, j’ai pris leurs manières, leurs bizarreries secrètes.

Mes années les plus belles, je les ai passées dans le Kiffhäuser, dans le Vénusberg, et autres catacombes du romantisme.

N’aie pas peur de moi, mon singe! je serai gracieux pour toi, car sur le cuir sans poil de ton derrière usé tu portes les couleurs que j’aime.

Chères couleurs, noir, rouge et jaune d’or! Ces couleurs du derrière des singes m’ont rappelé mélancoliquement la bannière de Barberousse. »


I.

Sur sa tête il portait le laurier, et des éperons d’or brillaient à ses bottes. pourtant ce n’était pas un héros, ce n’était pas non plus un chevalier.

Ce n’était qu’un capitaine de brigands, qui de son insolente main inscrivit dans le livre de la renommée son nom insolent : Cortez!

Il l’inscrivit au-dessous du nom de Colomb, au-dessous mais tout auprès, et le marmot sur le banc de l’école apprend par cœur ces deux noms.

Après Christophe Colomb, il nomme aujourd’hui Fernand Cortez comme le deuxième grand homme dans le panthéon du Nouveau-Monde.

Dernière trahison du destin envers les héros! Leur nom, dans le souvenir des hommes. est lié au nom d’un bandit.

Ne valait-il pas mieux demeurer inconnu que de traîner avec soi pendant les longues éternités une pareille camaraderie?

Maître Christophe Colomb était un héros; sans tache comme le soleil, comme le soleil aussi son ame était prodigue.

Bien des hommes ont beaucoup donné; celui-là, c’est un monde tout entier qu’il a donné au monde, et ce monde est l’Amérique.

Il ne pouvait nous délivrer de l’humide prison de la terre; il sut du moins élargir le cachot et allonger la chaîne.

Il est glorifié par la reconnaissance du genre humain, lequel n’est pas seulement fatigué de l’Europe, mais aussi de l’Afrique et de l’Asie.

Un seul homme, un seul héros nous a donné plus et mieux que Christophe Colomb; c’est celui qui nous a donné un Dieu.