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rés seulement comme paysages, comme représentation des choses de la nature, ils seraient invraisemblables, incomplets, et d’une infidélité choquante. C’est que Poussin était un grand poète. Pour le Poussin, le paysage, comme la peinture religieuse et historique, où il n’est pas moins grand artiste, n’est qu’un moyen d’exprimer et de faire sentir aux autres le beau qu’il a conçu. Nous touchons ici aux plus hautes considérations dont l’art puisse être l’objet. Déjà nous avons eu l’occasion de dire un mot en passant du débat des coloristes et des dessinateurs ; dans le portrait et le paysage, nous rencontrons en présence les réalistes et les idéalistes. Ce n’est point ici le lieu de revenir sur cette grande et interminable querelle. Qu’il nous suffise de poser en principe que l’imitation, si parfaite qu’elle soit, sera toujours condamnée à des succès vulgaires, et ne s’élèvera jamais au vrai beau, à celui que poursuivent d’instinct les grands maîtres de l’art. Ce point une fois établi, il est facile de se rendre raison de l’engouement de la foule pour les choses médiocres, des variations des critiques, de l’admiration fanatique de certaines natures d’élite pour des beautés à elles seules révélées, et de la différence de valeur esthétique que peut offrir un sujet, un paysage par exemple, traité en même temps par deux artistes d’un mérite égal en pratique, mais dont l’un, cherchant le vrai, aura fidèlement copié, tandis que l’autre, rêvant le beau, aura plus librement imité et se sera moins asservi. Le paysage est de tous les genres de peinture celui où le génie de l’artiste est le plus à l’aise. Là, point d’intermédiaire : la nature entière avec ses trésors, et un mode d’expression qui est essentiellement conventionnel et varié. Les paysages du Poussin unissent la poésie de Virgile à la philosophie de Platon et à la beauté historique de Thucydide ; ceux de Salvator Rosa saisissent, surprennent et parfois épouvantent ; le Lorrain lutte d’éclat avec les splendeurs du couchant : son art en triomphe et les embellit encore Ruysdael, austère et sombre, se plaît à traduire les mugissemens des cataractes et la mystérieuse horreur des forêts : c’est le poète des solitudes ; Bergbem peint des idylles, Potter des bucoliques ; tout vit dans Teniers, l’onde, la feuille, l’air et le nuage, et Rembrandt, le maître par excellence, chante dans d’immortels chefs-d’œuvre toutes les beautés de la création.

Malgré la renaissance de l’art, l’école paysagiste n’a point encore retrouvé cette large et féconde direction : elle n’a pas encore compris que ce que les maîtres, Ruysdael, Potter, Hobbema, demandaient à la nature, lorsqu’ils semblaient en imiter les formes, c’était seulement un langage et une voix. Alors un grand artiste pouvait, sans sortir du petit coin qui l’avait vu naître, trouver autour de lui une mine inépuisable et une source d’inspirations toujours nouvelles. Il avait tout en lui-même. Rembrandt a-t-il jamais voyagé ? Mais ces grandes