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le nouveau dépositaire de l’autorité exécutive se dérobait aux avances des partis extrêmes, lorsqu’on le vit accepter avec empressement le concours salutaire des partis modérés et préférer leurs conseils, on lui sut un gré prodigieux de l’effort qu’il paraissait s’imposer pour vaincre les ardeurs de ses anciens rêves. On l’aurait cru guéri lui-même, tant il mettait de zèle à guérir la France de ces maux dont la contagion intellectuelle et morale ne l’avait pas anciennement épargné. Ce furent d’heureux instans dans ce mariage du président avec le pays. Comment l’union fut-elle rompue ? À qui doit-on imputer les torts de la rupture ? Nous n’avons pas envie de recommencer ici l’histoire de ces péripéties déplorables ; nous nous sommes toujours attachés à marquer exactement les torts respectifs qui avaient tour à tour gâté toutes les causes. L’opinion les signalait, les relevait l’un après l’autre dans tous les camps, et sa critique s’est trouvée chaque fois d’une justesse incomparable. On résumerait assez bien le sens de ces vicissitudes que le jugement public a traversées depuis trois ans, en disant pour conclusion que le président de la république n’a jamais ni perdu aux attaques trop évidemment dirigées contre lui, ni gagné aux représailles trop précipitamment essayées par lui. Le public lui tenait compte des difficultés qui s’élevaient sur son chemin, lorsque la force des choses ou des passions humaines suscitait devant lui des rancunes dejfraîche date ou d’anciennes prétentions. Pour peu qu’il montrât de sang-froid et d’impassibilité, on lui était reconnaissant de déconcerter ainsi des agitations trop souvent stériles ; son flegme était estimé presque à l’égal du patriotisme. Il était convenu qu’il devait être plus vertueux que tout le monde ; c’est justement ce qui faisait qu’il était assez facile de l’excuser quand il ne semblait pas l’être plus que les autres. Il était convenu que dans ce temps et sous cette constitution où personne n’est obligé par un serment, seul il avait prêté un serment qui l’obligeait : après cela, plus en principe on exige des gens, plus à l’occasion on se relâche avec eux ; aussi l’on ne s’émerveillait pas beaucoup qu’il n’affectât point de répéter soir et matin en 1851 le serment de 1848. Par un autre point encore, le président de la république s’était concilié cette sorte d’approbation tacite qui accorde d’autant plus qu’elle est moins violentée. Le président savait reculer à propos. Si quelquefois, partagé entre les souvenirs de sa vie antérieure et les expériences de sa vie présente, il permettait trop aux premiers de dominer les autres, si la fatigue du plus laborieux de tous les gouvernemens le portait à marquer quelque inclination pour un gouvernement plus sommaire, il s’arrêtait, il rétrogradait aussitôt qu’il sentait la résistance naturelle de ce temps-ci vis-à-vis des procédés d’un autre. Et voyez la singulière faveur dont l’opinion entourait ce pouvoir consacré par la nécessité ! Elle s’obstinait à s’alarmer moins des pas risqués trop hardiment qu’elle ne se félicitait des pas dont on avait reculé. Elle en était arrivée à croire que toujours on reculerait, quand on voudrait avancer sans elle, et c’était peut-être un motif qui l’eût empêchée de se refuser toujours. On sait cette rude parole qui fut bel et bien prononcée : Pour un pas de gagné, il faudra reculer de quatre. L’opinion ne haïssait pas d’être ainsi tout à la fois déliée et redoutée, et comme die aimait la patience que le président déployait dans de certaines rencontres, elle aimait aussi cette impatience qui ne manquait jamais de se désister à point par crainte de la trop brusquer. Tout cela composait une physionomie où il y