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débauches et des cruautés monstrueuses[1], périt assassiné dans son palais, et le peuple d’Urbin appela d’une voix unanime Frédéric, fils naturel du dernier comte, à occuper le trône que la mort d’Odd’Antonio laissait vacant. C’est à partir de ce moment que commence la gloire de la dynastie des Montefeltro, et qu’une ère de civilisation et de progrès s’ouvre pour le duché d’Urbin,

Lorsque Frédéric succéda à son frère, il n’avait encore que vingt-deux ans, et déjà il s’était distingué par plus d’une action d’éclat dans les guerres, presque continuelles alors, entre les papes et les vassaux de l’église. Ses goûts studieux l’avaient d’autre part mis en relation avec les savans italiens les plus renommés, et l’un de ceux-ci, Victorin de Feltre, qui tenait à Mantoue une école célèbre, avait compté le jeune prince parmi ses auditeurs les plus assidus. L’éducation publique venait d’être mise à la mode en Italie, grâce aux efforts du marquis de Mantoue. Il arrivait souvent que les fils des nobles et les enfans du peuple se rencontrassent sur les mêmes bancs; mais il n’en allait pas ainsi de l’éducation des princes. Ce fut une nouveauté que de voir Frédéric, issu d’une race souveraine et déjà parvenu à l’âge d’homme, suivre en simple écolier les leçons d’un grammairien, comme on disait alors assez improprement. Il s’agissait en effet, dans ces cours, de bien autre chose que de grammaire : la théologie, la dialectique, la politique même, servaient de texte aux dissertations des professeurs aussi communément que la science des langues; et, pour ce qui est de Victorin, Tiraboschi, en parlant de lui, s’étonne qu’il se soit rencontré, dans un siècle encore grossier, un philosophe si clairvoyant, un moraliste si profond. Victorin d’ailleurs ne se bornait pas à exposer des théories: il entretenait à ses frais les enfans dont les familles étaient pauvres, et consacrait au soulagement de toutes les infortunes le gain qu’il tirait de ses travaux. Il exerça sur Frédéric la double autorité des enseignemens et de l’exemple, et, comme il vécut jusqu’en 1447, on peut supposer qu’il ne fut pas étranger aux premiers actes du règne de son ancien élève. Peut-être les mesures de justice que prit Frédéric à son avènement lui furent-elles inspirées par les conseils de cet homme de bien.

Sous le règne du disciple de Victorin, le pays d’Urbin se trouva pour la première fois soumis à une administration régulière; les attributions des magistrats furent définies et respectées, les impôts équitablement répartis. Il y avait loin de ce gouvernement paternel au régime d’exactions pratiqué par les légats et les anciens comtes. Aussi ces progrès alarmèrent-ils les seigneurs des états environnans. Un

  1. Un exemple suffira : un des pages d’Odd’Antonio ayant oublié d’apporter de la lumière à heure dite, le duc, pour que le fait ne se renouvelât pas, fit enduire de poix et brûler le corps du coupable, — le tout sous les yeux de la cour et dans la salle même où il s’était mis à table pour souper.