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savant pontife guida Frédéric dans les recherches où il apporta toute sa vie l’ardeur d’un érudit et d’un curieux. Plus d’une fois, il lui arriva de les poursuivre jusque sur les champs de bataille, — témoin ce jour où, de tout le butin enlevé par son armée à la prise de Volterre, il s’empressa de réclamer pour sa part une Bible hébraïque qu’il emporta précieusement à Urbin. La conquête de ce manuscrit était la seule qu’il fit alors pour son propre compte. En s’emparant de la ville de Volterre, il agissait comme général des Florentins, à la solde desquels il s’était mis, comme il avait été, quelques années auparavant, au service du duc de Milan, puis à celui du roi de Naples. Tel était l’usage de ce temps. — Lorsque les souverains des petits états de l’Italie n’étaient pas en guerre pour défendre leurs droits personnels, ou lorsque leurs finances devenaient insuffisantes, ils ne faisaient pas difficulté de conclure un engagement temporaire avec quiconque pouvait les payer. Condottieri de bonne maison, ils vendaient au plus offrant leur dévouement et leur expérience, et, le pacte expiré, il n’était pas rare de les voir se mettre aux gages de l’ennemi qu’ils combattaient la veille. Cette coutume avait bien ses inconvéniens. Les campagnes menées de la sorte se prolongeaient indéfiniment, parce qu’on spéculait sur la durée des opérations, ou qu’on s’y ménageait avec soin ; et, comme des deux côtés, les soldats étaient souvent aussi désintéressés que les chefs dans la question qui s’agitait, les rencontres n’étaient pas toujours fort meurtrières. On se rappelle, entre autres, cette journée d’Anghiari, où les troupes mercenaires à la solde de Florence remportèrent la victoire sur les bandes à la solde de Milan : il y périt un seul homme ; encore, s’il faut en croire Machiavel, fût-ce d’une chute de cheval. La mêlée avait duré quatre heures.

Frédéric ne mérite pas les reproches qu’on pourrait adresser à plusieurs condottieri de ce siècle. Jamais il ne traîna la guerre en longueur pour s’épargner les dangers ou les fatigues, et ce fut à sa bonne foi autant qu’a ses succès qu’il dut son élévation et sa renommée. L’année de la prise de Volterre (1472) et les années qui suivent marquent le plus haut point de la fortune de Frédéric. Son retour à Florence, à la suite de cet important fait d’armes, avait eu l’éclat d’une entrée triomphale. Peu après, il recevait de Sixte IV le titre de duc d’Urbin[1] à l’époque même où il fiançait une de ses filles à Jean della Rovere, neveu du souverain pontife ; le roi de Naples lui envoyait

  1. On a vu qu’Odd’Antonio avait été déjà revêtu de cette dignité. Le titre de duc ne fut pas transmis à Frédéric avec l’autorité souveraine, et, pendant les trente premières années de son règne, il fut appelé comte. Odd’Antonio fut donc de fait premier duc d’Urbin, comme Alexandre de Médicis fut de fait premier duc de Florence ; mais les successeurs de ces princes, — dont la vie et la mort offrent d’ailleurs une grande analogie, — les firent si bien oublier l’un et l’autre, qu’on s’est habitué à regarder les règnes de Frédéric et de Côme Ier comme marquant l’avènement des deux dynasties des ducs d’Urbin et de Toscane.