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en relations habituelles avec tous les personnages de la cour, qu’il jouissait à Urbin d’une considération très grande, et que, tout en rendant hommage au talent des peintres contemporains, il ne s’immolait pas pour cela et savait fort bien se rendre justice à lui-même. L’extrême modestie dont on lui a su gré, et qu’on a jugé bon de lui attribuer à défaut d’autre mérite, pourrait bien n’être qu’une erreur de plus, et il est permis de douter que Sanzi se soit jamais avoué incapable de diriger les études de son fils. Que Raphaël, adolescent, ait été élève du Pérugin, voilà qui est incontestable; mais par qui avait-il été placé dans l’atelier de ce maître, et qui lui avait enseigné auparavant cette « belle manière de dessiner » dont parle Vasari? Raphaël était, dit-on, âgé de quatorze ans, lorsqu’il commença à recevoir les leçons du Pérugin. Il était né en 1483 : il dut donc quitter Urbin en 1497. Or Sanzi mourut vers la fin de 1494. Comment concilier cette date avec le fait d’un voyage, en compagnie de son fils, près de trois ans plus tard, et n’aurait-on pas le droit de supposer que celui-ci fut conduit à Pérouse par son oncle Bartolomeo, devenu, comme on sait, son tuteur? Nous conclurions de là que Sanzi ne songea jamais à se séparer du noble enfant que le ciel lui avait donné, et qu’il se crut jusqu’à la fin de sa vie assez expérimenté pour seconder ses progrès sans emprunter le secours de personne.

Entouré de cette foule de savans et d’artistes dont les plus éminens viennent d’être nommés, Frédéric passa les dernières années de son règne dans la situation brillante que lui avaient faite ses exploits, ses goûts et la sagesse de sa politique. L’indépendance du duché une fois assurée, il ne reprit plus les armes qu’à de longs intervalles, soit pour soutenir les droits du souverain pontife dont il se montrait l’allié fidèle, soit pour protéger les petits états du littoral de l’Adriatique contre les envahissemens des Vénitiens. Nommé chef de la ligue formée à cet effet, il s’apprêtait à défendre Ferrare et se portait déjà sur le théâtre de la guerre, lorsqu’il tomba malade de la fièvre. Au lieu de se retirer à Bologne, où les médecins lui conseillaient d’aller passer la mauvaise saison, il s’obstina à entreprendre une campagne que ses forces ne lui permettaient pas de poursuivre : il mourut au bout de quelques semaines, à peine âgé de soixante ans.

Les historiens modernes qui, avant M. Dennistoun, ont parlé de Frédéric s’accordent à le présenter comme un prince très éclairé, un capitaine de premier ordre. Les témoignages de ses contemporains ne lui sont pas moins favorables, et le pape Pie II, qui avait recouru plus d’une fois à son expérience militaire et à son habileté diplomatique, déclarait dans un consistoire que le duc d’Urbin « voyait toutes choses avec son seul œil, » car, il faut bien le dire, Frédéric était borgne, et parmi tous les avantages dont les dieux se plurent à le pourvoir, au dire