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distances, ils ne nous firent aucun mal, et le combat n’était plus qu’un jeu d’échecs plein d’intérêt. Arrivés à la limite du territoire des Beni-Ouragh, les Kabyles, en querelle avec eux, leur envoyèrent des coups de fusil, et les Sbéahs jugèrent prudent de ne point s’engager dans la gorge. A trois heures de l’après-midi, les chevaux étaient entravés de nouveau, les blessés portés à l’hôpital, et le camp du Khamis avait repris son aspect accoutumé. Le soir, personne, en passant dans le bivouac, de nouveau aligné et en bon ordre, ne se serait douté du coup d’épervier de la nuit.

Cinq jours après, un autre peloton arrivait de Mostaganem pour nous relever. Nous n’étions plus au complet, et il fallait suivre les deux compagnies d’infanterie venues pour chercher les troupeaux pris à la razzia. Nous partîmes après avoir serré la main de nos camarades; mais le repos ne devait pas être de longue durée. Un mois plus tard, mon escadron s’en allait avec la colonne commandée par le général de Bourjolly faire rentrer quelques impôts en retard, lorsque la grande révolte éclata tout à coup, se répandant comme un torrent de feu de l’ouest à l’est de nos possessions d’Afrique. Depuis ce moment, on ne compta plus avec les privations, les fatigues et le danger. Bien des nôtres succombèrent dans ces premiers jours, fidèles à l’honneur du régiment, face à l’ennemi. Le lieutenant-colonel Berthier avait frayé la route; une balle kabyle l’avait tué à bout portant. Après deux mois de luttes et de marches sans fin, nous avions cependant pris le dessus. Traqués, pourchassés dans leurs ravines affreuses, les Kabyles se dérobaient de nouveau par la fuite, espérant que les pluies et les neiges nous forceraient au repos; mais la campagne devait durer l’hiver entier, tant qu’un ennemi oserait lever la tête. Vers le 15 novembre, deux mille hommes d’infanterie et trois cents chevaux étaient établis à Dar-ben-Abdallah, bonne position militaire, située dans le pays des Flittas, à douze lieues du poste du Khamis; ils fouillaient les bois de lentisques et de chênes verts, repaires des bandes arabes, Aidaient les silos, et, toujours en mouvement, ne laissaient échapper aucune occasion favorable.

De Dar-ben-Abdallah, le général envoya des troupes nouvelles remplacer au Khamis les soldats de la légion bloqués depuis le commencement de l’insurrection. Thomas Moore fut ramené par le détachement; mais il ne commandait plus sa troupe. Ballotté sur un cacolet, au flanc d’un mulet, il se soutenait à peine. Les ravages de la maladie étaient affreux; à nous tous qui l’aimions, sa vue nous serra le cœur. On eût dit un vieillard. Son œil brillant et limpide d’ordinaire avait maintenant l’éclat sinistre de la mort; il avait la pommette saillante, il était presque voûté; puis, à chaque moment, l’on entendait cette