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homme qui avait travaillé aux mines d’or de Choco vint visiter le canton d’Upata et recueillit une somme de 16,000 francs en peu de jours, en lavant les terres du fond de la rivière Yuruari; enfin d’autres personnes qui se transportèrent sur le même point rencontrèrent plus ou moins d’or.

A mesure que la renommée publiait les richesses découvertes, les populations, qui jusque-là avaient été indécises, commencèrent à se mettre en mouvement, et, à la fin de décembre 1850, douze cents ouvriers étaient réunis sur les bords de l’Yuruari, autour d’un village indien nommé Tupuquen. Fixé dans la province de Cumana, qui n’est séparée du canton d’Upata que par le fleuve Orénoque, je formai le projet, avec un de mes amis, M. le docteur Beauperthuis, médecin français également fixé à Cumana, d’aller explorer le canton des mines d’or; nous comprenions bien toutes les difficultés de cette entreprise, mais nos positions respectives de médecin et d’ingénieur civil nous faisaient presque un devoir de les affronter. Trouvant trop pénible le voyage par terre, M. Beanperthuis s’embarqua avec ses ouvriers pour gagner les bouches de l’Orénoque et remonter jusqu’à Puerto de Tablas, village du canton d’Upata; quant à moi, accoutumé à supporter la fatigue des voyages par terre, je préférai cette voie, qui m’offrait en outre l’espoir de faire quelques observations, et je n’eus pas lieu de m’en repentir.

Je choisis, parmi les ouvriers employés à la confection des routes, ceux que je connaissais comme les plus vigoureux et les plus braves; je les réunis sur mon habitation du plateau de Saint-Augustin (Mesa Guardian de San-Agustin). Ce plateau, qui présente une superficie d’une lieue carrée, est élevé de douze cents mètres au-dessus du niveau de la mer; il est entouré de tribus indiennes encore à moitié sauvages; on y jouit, dans la zone torride, d’un climat constamment semblable à celui du mois de mai à Paris, le thermomètre centigrade se maintenant toujours entre le 10e et le 21e degré. Le 22 décembre 1850, monté sur une forte mule, je partis avec vingt ouvriers bien armés; j’avais un nombre suffisant d’animaux de bât pour porter nos vivres, nos outils et mes instrumens. Après avoir traversé la jolie vallée de Caripe et escaladé la montagne nommée Cuchilla, nous arrivâmes à bon port à Guanaguana. A la fin du second jour, nous étions hors de la cordillère de Cumana, et nous poursuivions notre route sans autre inconvénient qu’un soleil brûlant, qui nous incommodait d’autant plus que nous venions de quitter un climat tempéré et même un peu froid, car une température de 1à degrés au-dessus de zéro est froide pour un pays où l’on jouit constamment dans la plaine d’une chaleur de 25 à 35 degrés centigrades. Nous passâmes à Caicara la nuit qui suivit cette seconde journée de voyage, et le lendemain, jour de Noël.

Le 26 décembre, je repartis au point du jour, attendu que je devais passer à gué, et à peu de distance du village de Caicara, la rivière Guarapiche. J’eus à supporter le soleil jusqu’à midi en traversant des plaines de sable qui produisent quelques arbres rabougris et quelques touffes d’une herbe grise dont les bestiaux ne mangent pas. un peu avant midi, nous arrivâmes à Santa-Barbara. Ce village est situé au sud d’un escarpement de vingt à vingt-cinq mètres d’élévation. A sept cents mètres environ de cet escarpement, j’avais passé un petit ruisseau, et j’avais admiré pour la première fois l’arbre nommé moriche que la nature a fait venir avec profusion tout le long du cours de ce ruisseau.