Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/527

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

élevés. Comment les pères avaient-ils fait face à de si énormes dépenses à une époque où le produit de leurs champs et de leurs troupeaux pouvait à peine suffire à la nourriture des hommes qu’ils employaient? Quel contraste entre la magnificence des pères aragonais d’Upata et la vie relativement chétive que menaient dans le même temps leurs confrères de la province de Cumana! Ce contraste m’autorisait à penser que les capucins d’Upala avaient connaissance des mines d’or de l’Eldorado, et que, s’ils avaient conté tant de fables à M. de Humboldt, s’ils avaient écarté avec une défiance si jalouse les séculiers et les étrangers du Pays des Missions, ce n’était que pour protéger contre les révélations indiscrètes le secret de leur lampe merveilleuse.

Malheureusement, quand éclata la révolution de l’indépendance, à la suite de laquelle les pères capucins furent chassés, la civilisation n’avait pas encore eu le temps de pousser de profondes racines dans le cœur des Indiens. A peine ces sauvages de la veille furent-ils débarrassés de la surveillance et du gouvernement des pères, qu’ils retournèrent lestement dans les bois pour y reprendre leur vie errante; ils abandonnèrent complètement des villages qu’ils n’avaient bâtis que par obéissance ou par complaisance. Aussi la plupart des bourgs construits par les pères n’existent-ils plus que sur la carte ou dans la mémoire des vieillards du pays, et le gouvernement de la république est obligé de dépenser beaucoup pour surveiller l’entretien de ceux des villages qui subsistent encore.

Saint-Félix, où nous étions arrivés un peu après huit heures du matin, est un de ces bourgs complètement abandonnés et détruits; quelques pièces de bois encore debout désignent l’endroit où étaient l’église et le couvent; des débris de tuiles épars au milieu du bois indiquent où était le village. Une végétation forte et sauvage aura détruit avant peu ces dernières traces de la civilisation si courageusement portée par les pères aragonais au milieu des solitudes de la province d’Upata.

A partir de la rive de l’Orénoque, j’avais reconnu que le terrain était forme par la décomposition de la roche de granit. Je me borne à indiquer la forme, l’apparence et la qualité des élémens du sol : les géologues pourront aisément les reconnaître. Sur les rives de l’Orénoque, je rencontrai la roche de granit de plusieurs qualités : Ier d’un grain serré et lin, rendant un son métallique et couverte d’un vernis couleur de mine de plomb foncée; 2° une roche de granit très dure avec de fortes aspérités à l’extérieur; 3" quelques roches de quartz. En sortant de Puerto de Tablas, on entre dans une plaine qui s’élève insensiblement jusqu’à Saint-Félix; toute la plaine est couverte d’un sable blanc, qui est une décomposition de la roche de quartz. A Saint-Félix, on rencontre la roche de quartz en plus grande abondance, et dans les bas-fonds la roche de granit à grain serré et fin, d’un son métallique, brisée en morceaux du poids de cinq à vingt kilos, conservant ses angles extrêmement vifs, même au milieu des courans d’eau. Les roches de quartz qui se trouvaient mélangées avec les roches de granit avaient leurs angles arrondis.

Après avoir quitté Saint-Félix, nous entrâmes dans un bois qui se prolonge jusqu’à Upata en traversant une petite chaîne de montagnes où dominent alternativement les roches de granit et de quartz roulées, ayant une teinte jaune et graisseuse. Une petite rivière qui prend sa source près d’Upata s’approche de la route de temps à autre : ses eaux ressemblent à celles du Caroni; mais