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conquête politique; elle a consacré la défaite des forces démagogiques moins par les votes qu’elle leur a ôtés que par la barrière qu’elle a dressée contre leur principe. La démagogie s’est sentie profondément atteinte. Conspirateurs de Londres et de Bruxelles, de Paris ou des provinces, tous ont peu à peu vu diminuer leur ascendant sur les masses, et la Voix du Proscrit ne se lassait point naguère de signaler cet affaissement général qui contrariait tant les agitateurs, « Ah! sans doute, disait-elle par exemple, ce n’est pas l’idée qui fait défaut aujourd’hui : c’est ce qui poussait nos pères vers l’action, c’est l’audace. Nos pères étaient moins discoureurs et plus soldats. » Ces pieux regrets s’exhalaient néanmoins sans fruit : n’eût été l’approche de 1852, qui entretenait les espérances, beaucoup se fussent tout-à-fait retirés des rangs de la foule militante. Dans les rangs inférieurs de la démagogie, les passions se contenaient, si elles n’abdiquaient pas. La dernière société secrète qui essayât encore de durer, l’Union des Communes, a été condamnée le 28 juillet 1851 par la cour d’assises de la Seine. Il ne s’ensuit pas qu’il n’y eût point toujours une sourde fermentation, que les mauvaises doctrines et les anciennes rancunes ne restassent point comme en dépôt au fond des cœurs. La vigueur de la dernière administration avait fini par les y comprimer. D’après des renseignemens très certains, la seule annonce du rappel de la loi du 31 mai a ranimé toutes ces ardeurs étonnées. A Londres d’abord, les associations rivales de la Fraternelle et des Proscrits, toujours prêtes à se traiter entre elles comme les prisonniers de Belle-Isle, se sont raccommodées. Une somme importante, réunie en quarante-huit heures, a fourni le moyen d’organiser des correspondances et de dépêcher des émissaires. La situation est surveillée de plus près encore par les fauteurs de désordre que par les honnêtes gens.

En cette situation douloureuse, le rôle de l’assemblée nationale est heureusement très clair. Ce n’est pas elle, ce n’est pas la majorité qui a provoqué le dissentiment dont se réjouissent tous les ennemis de la tranquillité publique. L’assemblée n’a point l’embarras des légèretés ou des duretés qui ont quelquefois gâté sa position vis-à-vis du pouvoir exécutif. Dire ce qui arrivera dans quatre jours à la première séance, ce serait chercher à prévoir trop loin, puisqu’on ne sait même pas encore ce qui a pu se passer depuis quinze jours, et déterminer un revirement si fatal. La première pensée de l’assemblée, ce sera sans doute de désirer connaître ces précédens, qui ne peuvent pas ne point être essentiels : les nouveaux ministres auront toute occasion de s’expliquer sur leur avènement; ils doivent être pressés de le faire. Quant au rappel de la loi du 31 mai, il est trop visible que, si on se décide à la proposer, il ne s’agit plus, dans les circonstances présentes, de discuter la valeur intrinsèque de la loi. La loi devient du coup ce qu’on pourrait appeler un terrain politique ; il s’agit de savoir si la majorité qui a créé ce terrain, qui s’y est établie connue chez elle, voudra déloger, aussitôt le congé signifié. Nous ne nous défendons pas d’espérer encore que le président retrouvera toute sa prudence devant la fermeté de l’assemblée. Il n’y a rien à gagner de part ni d’autre avec la précipitation et la violence. L’assemblée n’ayant rien de mieux à faire que d’attendre, elle attendra. Elle attendra le 10 mai 1852 du même pied qu’elle aura attendu le 4 novembre 1851. La première de ces deux journées contient la seconde.