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Bouchir par un de ses officiers, qui, avec quelques hommes hardis, s’était chargé de ce coup de main ; mais les rebelles avaient été arrêtes par une résistance sur laquelle ils ne comptaient pas. Repoussés, ils s’étaient retirés dans un village voisin et y attendaient, paraissait-il, du renfort ou une occasion plus favorable. Tout cela était fort singulier. Cette insurrection si peu motivée contre l’autorité royale, cette attaque audacieuse contre une ville soumise et où commandait un cheik investi de la confiance du gouvernement, étaient des événemens dont la cause occulte ne devait pas être cherchée seulement dans l’esprit turbulent des populations du Loristân ou dans la mauvaise administration de Méhémet-Châh. Il y avait, comme je l’ai dit, plusieurs coïncidences qui permettaient d’attribuer ces agitations inattendues à un voisinage très dangereux pour cette contrée. À une très petite distance de Bouchir est l’île de Karak, qui appartient de droit à la Perse, mais dont les Anglais se sont emparés. Ils y ont habituellement une petite garnison. En 1840, cette garnison était de mille hommes, dont six cents cipayes et quatre cents Anglais ; de plus, de l’artillerie y avait été débarquée, et on disait que plusieurs bâtiments de guerre y étaient mouillés ou croisaient entre l’île et les côtes de Perse. Il y avait alors, de l’aveu des agens anglais à Bouchir, un mouvement inaccoutumé à Karak. Devant Bouchir même était mouillée une goëlette anglaise ; chaque jour, un officier et des marins venaient à terre ; ils correspondaient avec leurs affidés et avaient tout l’air de gens qui viennent donner des instructions et savoir où en sont les choses. Enfin l’arrivée plus récente à Chouchter du premier secrétaire de l’ambassade russe prouvait que de ce côté aussi l’on soupçonnait des intrigues qu’il importait de surveiller. D’autres faits prouvaient que le gouvernement persan lui-même avait compris la gravité de l’insurrection dont les environs du golfe Persique étaient le théâtre. Manoutchehr-Khân avait quitté Ispahan avec huit mille hommes pour réduire la peuplade des Bactyaris, depuis long-temps insoumise, et rétablir dans son gouvernement le « beglier-bey » de Chouchter. Quatre mille hommes devaient partir en même temps de Chiraz avec de l’artillerie pour marcher sur Bebahân. Le but secret de cette expédition était, disait-on encore, d’attaquer Bagdad et de s’emparer de l’oncle du roi, Zelly-Sultan ou Ali-Châh, un de ces prétendans que les Anglais ont toujours sous la main quand leur intérêt les pousse à jeter le trouble quelque part. Ce qui ressortait avec évidence pour moi de tous les bruits qui circulaient à Bouchir, c’était l’avantage que trouvait l’Angleterre à occuper les Persans chez eux dans un moment où ceux-ci se déclaraient ouvertement pour Méhémet-Ali, et la part que prenaient en conséquence les agens britanniques à des insurrections dont on eût cherché vainement la cause dans les intérêts des populations soulevées.