Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/637

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du mélodrame, et le dernier pendu efface immanquablement la renommée de ses devanciers. Aujourd’hui ni Mombars ni Tarass Boulba ne peuvent exciter autant d’intérêt que ce Mussoni qui, le mois dernier, soutenait un siège en règle dans un trou de loup contre cent cinquante hommes, et qu’il fallut attaquer avec la sape et la mine. M. Gogol a fait de ses Zaporogues des portraits d’un coloris brillant qui plaît par son étrangeté même ; mais il est trop évident parfois qu’il ne les a pas copiés d’après nature. En outre, ces peintures de mœurs s’encadrent dans une fable si triviale et si romanesque, qu’on regrette fort de les voir si mal placées : la plus prosaïque légende vaudrait mieux que ces scènes de mélodrame où s’accumulent les incidens les plus lugubres, famine, supplices, etc. Au résumé, on sent que l’auteur se trouve sur un mauvais terrain ; son allure est embarrassée, et son style toujours ironique rend encore plus pénible la lecture de ses récits lamentables.

Cette manière, qui, à mon avis, est un véritable contre-sens dans quelques parties de Tarass Boulba, est bien mieux à sa place dans le Vyi ou le Roi des Gnomes, histoire de sorcellerie qui amuse et effraie. Le grotesque et le merveilleux s’unissent sans difficulté. Connaissant à fond la poétique du genre, l’auteur, en décrivant les mœurs sauvages et étranges des Cosaques du vieux temps avec sa précision et son exactitude ordinaires, a préparé habilement la diablerie. On sait la recette d’un bon conte fantastique : commencez par des portraits bien arrêtés de personnages bizarres, mais possibles, et donnez à leurs traits la réalité la plus minutieuse. Du bizarre au merveilleux, la transition est insensible, et le lecteur se trouvera en plein fantastique avant qu’il la soit aperçu que le monde réel est loin derrière lui. Je me garderai bien d’analyser le Roi des Gnomes ; voici le vrai moment de le lire, à la campagne, au coin du feu, par une nuit changeante d’automne. Après le dénoûment, il faudra une certaine résolution pour gagner sa chambre à travers de longs corridors, lorsque le vent et la pluie ébranlent les croisées. Maintenant que le fantastique allemand est un peu usé, le fantastique cosaque aura des charmes tout nouveaux, et d’abord le mérite de ne ressembler à rien. Ce n’est pas un médiocre éloge, je pense.

L’Histoire d’un Fou est tout à la fois une satire contre la société, un conte sentimental et une étude médico-légale sur les phénomènes que présente une tête humaine qui se détraque. Je crois l’étude bien faite effort graphiquement dépeinte, comme dirait M. Diafoirus, mais je n’aime pas le genre : la folie est un de ces malheurs qui louchent, mais qui dégoûtent. Sans doute, en introduisant un fou dans son roman, un auteur est sûr de produire de l’effet. Il fait vibrer une corde toujours sensible, mais le moyen est vulgaire, et le talent de M. Gogol n’est pas de ceux qui ont besoin de recourir à ces trivialités. Il faut laisser les