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dépensé 7,627,639 fr., sur lesquels, à la vérité, tout n’est pas perdu. Il serait temps d’établir entre les nombreuses et fécondes dépenses qui restent à faire sur l’atterrage de Saint-Malo un ordre de priorité un peu plus réfléchi.

« Si vous ne frémissez pas à la pensée des maux dont s’accableraient l’Angleterre et la France en trois mois de guerre, disait lord Granville à un de ses compatriotes qui lui trouvait trop de sollicitude pour le maintien de la paix, c’est que vous n’avez étudié ni les moyens d’agression, ni les points vulnérables des deux pays, ni les instrumens de destruction qu’enfanteraient les sciences physiques de notre temps.» Ces sentimens d’un homme que son caractère recommande encore plus que les hautes fonctions qu’il a remplies à l’estime de deux grands peuples ne sont pas ceux de toute la diplomatie anglaise, et la politique équitable et ferme dont il était à Paris l’organe a reçu depuis quelques années de rudes atteintes. Si la Grande-Bretagne s’en départait à notre égard, Saint-Malo serait évidemment un des points de nos côtes sur lesquels seraient dirigés les coups les plus dangereux. Le passé ne fût-il pas là pour nous instruire, ces forteresses, ces camps retranchés, ces rades militaires décorées du nom de ports de refuge, que nos rivaux multiplient à grands frais dans leurs îles de la Manche, ne sont-ils pas des avertissemens assez expressifs ? Sachons donc prévoir et pourvoir : souvenons-nous que les pertes causées par l’attaque de 1758 ont dépassé de beaucoup ce qu’eussent coûté les fortifications qui les auraient prévenues, et ne restons pas exposés à de bien plus cruels mécomptes. On n’assiège que les places qu’on espère prendre, et Saint-Malo, devenu inexpugnable, ne sera pas attaqué. Par une coïncidence assez rare, la fortification de la ville est ici une condition de l’agrandissement de son commerce. La destination de Saint-Malo est toujours ce qu’a dit Vauban, d’être à la fois l’un des boulevards et l’une des plus puissantes villes maritimes de notre pays. Les élémens de ce grand ensemble sont épars autour de la baie de la Rance : heureux le gouvernement qui saura les mettre en œuvre !


J.-J. Baude.