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rapport une situation beaucoup meilleure. A Sotteville, par exemple, avec des rues larges, bien aérées et des maisons généralement espacées par des cours et des jardins, les logemens ne sont guère plus propres qu’à Rouen. Les familles des vallées sont plus soigneuses. Il semble qu’on y éprouve l’influence de la belle nature au milieu de laquelle on vit, et dont le caractère est précisément la fraîcheur et la coquetterie.

Suivez-le dans ses distractions et ses divertissemens, l’ouvrier rouennais ne laisse pas percer de goûts plus délicats que dans sa demeure. D’habitude, il passe au cabaret la plus grande partie du temps où il ne travaille pas, et l’atmosphère des tabagies rouennaises semble plus pesante que celle des cabarets de Lille : on cause moins; lorsqu’on ne crie pas, on garde le silence hébété de l’ivresse. La différence devient encore plus sensible quand on compare les kermesses et les ducasses flamandes aux assemblées des environs de Rouen. Ces dernières ressemblent plutôt à des réunions de pure convention qu’à des réjouissances populaires où l’on court avec entraînement. Il faut en excepter pourtant la célèbre assemblée de la Saint-Vivien, qui a lieu à la fin du mois d’août, aux portes de Rouen, sur une haute colline, d’où les regards embrassent à perte de vue la belle vallée de la Seine. Quand arrive l’époque de cette solennité, il serait absolument impossible de retenir les ouvriers à l’atelier. Un fileur ou un tisserand porterait ses dernières nippes au mont-de-piété plutôt que de manquer à cet universel rendez-vous de la fabrique; mais serait-ce pour le plaisir de se trouver réunis que les ouvriers courent ainsi à la Saint-Vivien? Nullement : ils y vont chercher ces joies bruyantes et désordonnées qui les séduisent et remplacent pour eux l’esprit de société.

Sur un autre théâtre, à l’atelier, les travailleurs de l’industrie rouennaise, quand ils sont laissés à eux-mêmes, sont en général calmes et faciles à conduire. Dans les filatures, où se trouvent fréquemment un certain nombre d’ouvriers nomades, les têtes sont en général un peu moins rassises que dans les manufactures d’indiennes, où les ouvriers viennent du pays même et n’aiment pas à changer de patron. Au fond d’une des vallées voisines de Rouen, dans une grande imprimerie sur étoffés, nous nous sommes entretenu avec un des directeurs de l’usine qui, ayant long-temps résidé dans des manufactures étrangères, était en mesure de comparer le caractère de nos populations laborieuses à celui des ouvriers d’autres pays. Il avait notamment passé plusieurs années en Russie, dans l’indiennerie de Zaréwa, près de Moscou, la plus considérable de l’empire, où cinq cents travailleurs sont logés dans l’établissement même. « Après tout ce que j’avais appris, nous disait-il, des agitations de la classe ouvrière en France en 1848, je m’atendais à rencontrer dans les ateliers des esprits irritables, remuans et