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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/746

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permis d’en douter après les résultats constatés dans les divers districts de la Normandie. Il ne faudrait pas cependant exalter sans mesure ce système aux dépens de notre grande industrie manufacturière. En y regardant de près, on découvre dans les deux méthodes un bon et un mauvais côté. Il faut savoir, d’abord, que le choix de l’une ou de l’autre ne dépend pas toujours de la volonté individuelle. Les fabrications qui ont besoin d’un moteur mécanique, par exemple, ne sauraient évidemment se disséminer dans les campagnes. De plus, le travail à domicile, toujours un peu routinier de sa nature, est beaucoup moins favorable aux progrès industriels. Enfin, si on est obligé de signaler chez les travailleurs des fabriques une sorte de déchéance morale dont les efforts de notre temps, émanés de sources diverses, cherchent à les relever, on remarque trop souvent, chez les ouvriers à domicile, un état de stagnation intellectuelle qui n’est pas sans périls. Ces derniers sont plus paisibles aujourd’hui que les autres, plus respectueux de la tradition; mais, si le vent empoisonné des fausses doctrines parvenait à gâter la droiture de leurs instincts, ils seraient plus difficiles à éclairer et à contenir. Les voies qui peuvent conduire la vérité jusqu’à eux sont plus étroites, les moyens d’action plus incertains. Une cause de mécontentement existe dans leur sein ; c’est moins la faiblesse du salaire qui les inquiète qu’une série de réductions arbitraires ou que certains abus dans le genre de ceux que la loi sur le tissage et le bobinage a voulu prévenir, et auxquels les ouvriers à domicile sont, par suite de leur isolement, tout-à-fait incapables de résister. Quand on cherche à leur souffler l’esprit d’agitation, on ne néglige jamais de leur dire qu’ils manquent de garantie contre une exploitation abusive, qu’ils sont moins rétribués que dans les manufactures, où les ouvriers peuvent s’entendre et discuter leurs intérêts. Si les oreilles ne s’ouvrent heureusement qu’à demi à ces perfides suggestions, qui nous assure qu’elles n’y deviendront pas plus attentives? Un jour pourrait bien arriver où, après avoir long-temps accusé le régime de l’industrie en atelier, on le trouverait plus facile à régulariser que celui de l’industrie éparpillée dans les campagnes. Le désordre, sans aucun doute, n’est pas imminent dans les pays que nous venons de parcourir : de solides remparts le tiennent à distance; mais, plus on réfléchit sur les tendances de notre temps, et plus on sent la nécessité de prévenir de loin les égaremens en créant des garanties à mesure qu’elles sont reconnues nécessaires, en fondant des institutions appropriées aux besoins des localités, et en se préoccupant sans cesse du développement moral et intellectuel des populations laborieuses.

En résumé, le fait saillant de la situation des classes ouvrières en Normandie durant ces trois dernières années, c’est le rétablissement du calme dans la vie extérieure partout où il avait été troublé. La