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charmant ténor que nous avons entendu à Paris pendant une dizaine d’années. On dirait vraiment que la cour de l’empereur Nicolas, qui aime les artistes et qui les comble des marques de sa munificence, ressemble un peu à celle du grand roi vers les derniers temps de la Grèce, alors qu’elle était le refuge de tous les comédiens, de tous les joueurs de flûte et de tous les citharèdes célèbres que produisait l’heureuse et molle Ionie. Si l’opéra italien a presque complètement disparu de l’Allemagne, l’opéra national n’y est guère plus florissant. Il ne s’y est produit rien de bien remarquable depuis Weber et M. Meyerbeer. Dans cette pénurie de compositeurs dramatiques, on vient de reprendre tout récemment sur la scène lyrique de Berlin l’Olympie de Spontini, qui y a produit un très grand effet. On assure que Mlle Wagner a été fort remarquable dans le rôle important de Statira. La veuve de l’illustre auteur de la Vestale et de Fernand Cortez assistait à la reprise du dernier grand ouvrage qu’ait produit son mari. La saison musicale de Londres n’a pas été non plus aussi brillante qu’on aurait pu l’espérer. Les deux théâtres rivaux, celui de la Reine et Covent-Garden, se sont fait une guerre acharnée qui n’a profité, à ce qu’il paraît, ni à l’un ni à l’autre des deux entrepreneurs. M. Lnmley avait accaparé une douzaine de prime donne assolute qu’il faisait manœuvrer sur le théâtre de la Reine devant cette foule innombrable de voyageurs qu’attirait la grande exposition. Parmi ces cantatrices di cartello, il nous suffira de nommer Mme Sontag, Alboni, Cruvelli, Barbieri-Nini, Du pré et Ida Bertrand. Malgré tant de séductions et d’attraits, malgré la grâce et la jeunesse miraculeuse de Mme Sontag, malgré la voix et la vocalisation admirables de Mlle Alboni, malgré le grand succès que Mlle Sophie Cruvelli a obtenu dans le Fidelio de Beethoven, M. Lumley a eu de la peine à faire pencher la victoire de son côté. Quelques ouvrages malencontreux, tels qu’un opéra en trois actes, Lorinda ou les Maures en Espagne de la composition de M. Thalberg, et un autre de M. Alary, le Tre Nozze, dont nous avions eu les prémices à Paris, ont dû singulièrement attiédir le zèle des dilettanti.

M. Lumley sera-t-il plus heureux dans sa campagne d’hiver à Paris qu’il ne l’a été à Londres? La réouverture du Théâtre-Italien a eu lieu, cette année, par la Lucrezia Borgia de Donizetti, chantée par Mme Barbieri-Nini. Mme Barbieri- Nini est une cantatrice qui, depuis une quinzaine d’années, jouit en Italie d’une grande réputation. Sa voix de soprano a dû être en effet d’une belle étendue et d’un timbre éclatant; mais le temps, la musique de M. Verdi et un mauvais système de vocalisation ont considérablement altéré la fraîcheur et la souplesse de son organe. Mme Barbieri-Nini est cependant une cantatrice d’un mérite réel, dont le style vigoureux, dramatique et parfois original aurait produit de l’effet sur le public parisien, si la jeunesse et la grâce avaient accompagné ces qualités sérieuses de l’art. Il est fâcheux pour nous et pour Mme Barbieri-Nini qu’elle ait laissé passer l’âge des miracles et qu’elle nous ait réservé les restes d’une voix qui s’éteint et d’une ardeur fatiguée par les orages de la vie. La position très critique du Théâtre-Italien, qui ne saurait prospérer à Paris qu’avec une exécution parfaite, vient de s’améliorer un peu par la rentrée de Mlle Sophie Cruvelli dans la Norma de Bellini. Mlle Cruvelli est une Allemande qui, après être venue faire ses études musicales à Paris sous la direction d’un professeur du Conservatoire, M. Bordogni, était allée en Italie, où elle a chanté dans