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Reine de Chypre. Mme Tedesco est aussi une Italienne; elle est née à Mantoue, de parens allemands, qui appartiennent à la religion israélite. Après s’être essayée sur le théâtre de Brescia, après avoir occupé un rang assez modeste à celui de la Scala à Milan, Mme Tedesco a parcouru l’Allemagne, puis l’Amérique, où elle est restée plusieurs années, tant à la Havane qu’aux États-Unis, et où il ne semble pas qu’elle ait produit une très vive sensation. Mme Tedesco est pourtant une assez belle personne, grande, ample, richement douée des plus charmans trésors, et son regard fier et généreux n’est pas fait précisément pour inspirer la crainte. La voix de Mme Tedesco est un mezzo soprano d’une très grande étendue et d’une brillante sonorité. Elle parcourt assez aisément deux octaves et demie, du sol au-dessous de la portée jusqu’à l’ut extrême de l’échelle supérieure. Sa vocalisation a de la puissance lorsqu’il ne s’agit que de sillonner l’espace d’une spirale lumineuse; mais à la rencontre de la voix de poitrine, dans la partie moyenne de son bel organe, il se trouve quelques notes frustes qui font saillie sur le tissu, et qui trompent péniblement l’attente de l’oreille. Ce brusque rapprochement des deux grandes moitiés de la voix hun)aine, qui n’a lieu d’ordinaire qu’au moyen de quelques cordes neutres ou mixtes qui ménagent la transition, est un défaut très commun de nos jours, puisque Mlle Alboni elle-même n’en est pas entièrement exempte. Ce défaut, qui annonce beaucoup de précipitation dans les études préliminaires, est surtout très sensible chez Mme Tedesco, qui fera bien de s’en préoccuper. Du reste, la virtuose italienne prononce et articule notre langue avec une netteté remarquable, et, si l’énergie qu’elle déploie dans une ou deux scènes de ce fastidieux mélodrame était de meilleur aloi et plus le résultat de la passion que celui de la volonté, Mme Tedesco pourrait prétendre à d’assez belles destinées. Quoi qu’il arrive cependant, placée dans un meilleur ouvrage que la Reine de Chypre, et mieux secondée qu’elle ne l’a été par MM. Roger et Massol, qui abordaient pour la première fois l’un le rôle de Gérard et l’autre celui de Lusignan, Mme Tedesco pourra rendre de bons services à notre grand théâtre lyrique dont la situation actuelle est loin de répondre aux exigences de l’opinion publique. Un jeune élève du Conservatoire, M. Chapuis, qui a débuté à l’Opéra par le rôle du Prophète, l’été dernier, a chanté les jolis couplets bachiques du troisième acte de la Reine de Chypre avec une très belle voix de ténor. Si M. Chapuis était un comédien moins inexpérimenté et s’il paraissait plus intelligent qu’il ne semble l’être, on pourrait espérer qu’il serait un jour avec M. Gueymard une ressource précieuse pour l’Opéra; car il est impossible de se faire plus long-temps illusion sur la défaillance de M. Roger, qui n’a jamais été d’ailleurs que le second dans Rome.

Au théâtre de l’Opéra-Comique, les ouvrages en un, deux et trois actes se succèdent avec une rapidité qui n’annonce pas, il est vrai, une grande fécondité d’idées. Parmi les compositeurs qui, depuis quelques années, ont le mieux réussi dans ce genre un peu équivoque, où la quantité supplée souvent à la qualité, il est juste de nommer M. Ambroise Thomas. Après le Caïd, charmante partition qu’on peut encore considérer comme le chef-d’œuvre de l’auteur; après le Songe d’une Nuit d’été, où l’on a remarqué plusieurs morceaux distingués, bien que l’ensemble soit monotone et d’un style tourmenté, M. Ambroise Thomas a donné Raymond ou le Secret de la Reine, imbroglio en trois