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sente un peu de monotonie, qui résulte de la persistance du même sentiment. Ce manque de variété, qui est le défaut capital de l’opéra de Joseph, est aussi le côté faible du talent de Méhul. Esprit sérieux, caractère élevé, Méhul avait, comme presque tous les artistes de son temps, si on excepte le peintre Prudhon, plus de force que de souplesse et plus d’ambition dans la volonté que de délicatesse dans les sentimens. Il possédait les qualités fortes et l’élan victorieux qui renverse les obstacles, mais il était privé de ce rayon de la grâce qui caractérise les hommes et les époques de pleine maturité. Les œuvres de Méhul, de Spontini, de Cherubini et de Lesueur résument toute la grande musique dramatique de la révolution et de l’empire. Entre Méhul et Spontini surtout, il existe plus d’un rapport de similitude; mais il a manqué au beau talent de l’auteur de Joseph ce je ne sais quoi qui est le propre de l’amour et du génie, qualification suprême qu’on ne saurait refuser à l’auteur de la Vestale et de Fernand Cortez.

Paris possède depuis quelques semaines un troisième théâtre lyrique qui a pris le nom assez peu modeste d’Opéra-National. L’autorité, comme pour mieux exprimer le regret qu’elle éprouve de voir le goût de la musique se répandre chaque jour davantage en France, a confiné l’Opéra-National à l’extrémité du boulevard du Temple, vers les régions ténébreuses de la civilisation nouvelle. En compensation de cet acte de générosité, l’administration s’est empressée de concéder à un nouveau directeur le privilège d’exploiter le théâtre de la Porte-Saint-Martin, car le besoin de cette haute littérature dramatique se faisait, à ce qu’il paraît, généralement sentir. L’Opéra-National a fêté le jour de sa naissance par un ouvrage en trois actes intitulé Mosquita la Sorcière, une vieille histoire de M. Scribe, qui n’en fait plus d’autres. La musique est de M. Xavier Boisselot, déjà connu par un opéra en trois actes, Ne touchez pas à la Reine, qui a été représenté à l’Opéra-Comique il y a trois ou quatre ans. M. Boisselot est un compositeur de mérite qui a de la passion et dont le style trop ambitieux présente presque toujours un contraste choquant avec le caractère et la situation des personnages. Quelques beaux chœurs, un duo pour ténor et soprano au premier acte, un autre duo au second acte, un joli boléro et un trio énergique, tels sont les morceaux les plus remarquables de Mosquita la Sorcière, dont le succès aurait été plus accentué avec une meilleure exécution; mais il faut du temps pour tout, et on improvise plus facilement un gouvernement qu’on ne trouve un personnel convenable pour desservir un théâtre lyrique. Quoi qu’il en soit, nous avons tout lieu d’espérer que l’Opéra-National vivra malgré les obstacles de toute nature qu’il est obligé de vaincre.

La musique de chambre dans ses formes diverses n’est pas la partie de l’art où brille le plus le génie de notre pays. Malgré quelques tentatives heureuses dans la symphonie, dans le quatuor, dans le concerto et la sonate, la France est toujours et sera long-temps encore tributaire de l’Allemagne pour les œuvres de la musique instrumentale. Nous n’avons rien à opposer aux admirables créations d’Haydn, de Mozart, de Beethoven et de Mendelssohn, si l’on excepte quelques essais informes de compositions hybrides, que les vrais connaisseurs n’ont jamais pris au sérieux. Il est juste de remarquer cependant que, parmi les deux ou trois compositeurs de mérite qui se sont essayés avec succès dans le genre de la musique instrumentale, nous possédons en France une femme,