rencontrèrent en face d’eux un adversaire érudit et spirituel. M. Senkowsky. rédacteur d’une volumineuse publication mensuelle, la Bibliothèque de Lecture, sut donner à la critique un caractère et une allure inconnus jusqu’alors en Russie. Il mania le persiflage avec une finesse d’autant plus irritante pour ses adversaires qu’ils étaient malhabiles à se servir de la même arme, et se trouvaient réduits à épuiser contre le spirituel polémiste la grosse artillerie de leur science philologique. Cette polémique de l’école savante et de la critique primesautière revit assez fidèlement dans quelques pages, demeurées inédites, d’un jeune écrivain, esprit gracieux et charmant, caractère aimable et distingué, que la mort a pris avant l’âge : — nous voulons parler de M. Alexis Gretch, fils du célèbre grammairien. — Dans un tableau de mœurs plein d’humour, Un Salon littéraire à Saint-Pétersbourg, M. Alexis Gretch avait entrepris de résumer les reproches adressés par les philologues de Saint-Pétersbourg à M. Senkowsky : c’était dans la bouche d’un jeune homme parlant au milieu d’un salon qu’il plaçait cette spirituelle sortie contre les paradoxes littéraires de la Bibliothèque de Lecture : « Quoi! messieurs, s’écriait le personnage choisi par M. Gretch comme l’organe des griefs de l’école classique contre M. Senkowsky. Quoi! pas un de vous qui démasque ce lourd recueil, qui éclaire cette confuse réunion d’articles incohérens, au style prétentieux et logogriphique, ces traductions où l’auteur original chercherait son esprit, ces extraits de vieux livres qu’on voudrait faire croire nouveaux, ces critiques à jet continu qui ne vous éblouissent un instant que pour vous laisser bientôt dans une obscurité profonde!... Vous savez si je suis pédant, moi; mais enfin j’ai eu le bonheur d’être élevé par un père qui m’a appris à parler ma langue. J’ignore si l’on peut enseigner le turc ou l’arabe sans être Arabe ou Turc[1], mais du moins est-il certain que pour enseigner le russe, il faut être Russe[2], et avant d’en expliquer les règles, en avoir appris les élémens et en comprendre le génie. »
Il y a quelque vérité dans ces reproches, mais on ne pouvait accuser M. Senkowsky d’être lourd. Ses travaux péchaient plutôt par le décousu, quelquefois même par la frivolité. M. Senkowsky procédait généralement par voie d’ironie; les principes d’une sévère analyse le préoccupaient trop peu. Aujourd’hui encore, son recueil, qui se continue, pèche par les mêmes défauts et se distingue par les mêmes qualités : il y a du bon sens quelquefois, de l’esprit toujours; mais les vues sérieuses, les principes fermes font trop souvient défaut. Deux autres recueils, les Annales de la Pairie et le Contemporain, représentent plus sérieusement la critique russe. Un érudit distingué, un critique