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victorieuse; il en connaît toutes les ressources et les secrets les plus intimes. Son coup d’archet est plein de vigueur, son style ample et sévère, et sa main gauche accomplit les tours les plus scabreux sans jamais trahir l’effort. On voit bien que M. Vieuxtemps s’est vivement préoccupé de Paganini, dont il a essayé de s’approprier les hardiesses caractéristiques, telles que l’emploi fréquent des sons harmoniques, l’usage de la double et de la triple corde, la simultanéité de l’action de l’archet avec les effets de pizzicato, produits par la main gauche, et puis ces grands arpèges qui rapprochent brusquement les tonalités extrêmes, et une foule d’autres détails mélodiques qui entrent dans le tissu du style, comme ces petites fleurs idéales qui parsèment le fond d’un tissu précieux. Toutefois, ce que M. Vieuxtemps n’a pu dérober à l’artiste italien, c’est le fluide du génie, c’est la puissance de la fantaisie et la poésie du cœur. Il manque à M. Vieuxtemps un peu de sensibilité et ce sentiment profond qui absorbe la vanité du virtuose et fait oublier au public ému qu’il entend un poète et non pas un admirable violoniste.

L’hiver, qui s’avance à grands pas, paraît devoir être bruyant, brillant et très musical. Les théâtres lyriques se préparent à soutenir avec courage le choc des débats politiques en faisant une puissante diversion aux préoccupations de la crise où nous sommes. D’un autre côté, les concerts du Conservatoire et ceux de la société de Sainte-Cécile, sous la direction habile de M. Seghers, viendront en aide aux théâtres lyriques pour nous faire traverser tout doucement l’année cabalistique de 1852, dont à musique seule peut conjurer le mauvais génie.


P. SCUDO.


REVUE LITTÉRAIRE.

Le début dramatique de M. Jules Sandeau a obtenu le succès le plus complet. Mademoiselle de la Seiglière, que nos lecteurs connaissent depuis long-temps[1], n’a pas soulevé dans toute la salle un murmure, une objection. Le public a battu des mains, les applaudissemens ont éclaté avec une telle unanimité, que la critique n’a plus qu’une seule tâche : expliquer le succès. La réflexion n’a pas à protester contre la gaieté du parterre et des loges. Tous les hommes qui depuis vingt ans étudient le théâtre s’associent de grand cœur au bon accueil qu’a reçu Mademoiselle de la Seiglière. Il n’y a en effet dans le succès obtenu par M. Sandeau rien qui puisse étonner ou froisser les esprits sérieux. Des caractères vrais, une fable simple et clairement conduite, un dialogue net et rapide, tels sont les élémens dont se compose la comédie nouvelle. Le marquis de la Seiglière, que j’appellerai le principal personnage, bien qu’il ne donne pas son nom à la comédie, est l’image fidèle, l’image complète et vivante d’un caractère qui chaque jour se montre à nos yeux, et qui pourtant n’avait pas encore paru au théâtre. A peine l’avions-nous vu de profil. M. Sandeau a eu l’heureuse idée de nous le montrer dans toute l’ingénuité du ridicule, et le parterre lui a prouvé par ses applaudissemens qu’il connaissait de longue main l’original de ce portrait. Qu’est-ce en effet que le marquis de la Seiglière? Un Épiménide politique. Tout ce qui s’est accompli en France, en Europe, depuis

  1. Voyez la Revue, livraisons de septembre, octobre, novembre et décembre 1844.