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nous saluons avec joie. La comédie de M. Sandeau n’a soulevé aucune objection, et cela se conçoit sans peine, car elle ne relève d’aucun système littéraire et ne blesse aucune poétique. Il n’y a dans cet ouvrage aucune prétention à la nouveauté, et cependant le personnage du marquis est entièrement nouveau. Le personnage de Bernard, déjà connu au théâtre, est rajeuni par la délicatesse des détails. Destournelles n’est pas moins nouveau que le marquis. Jamais, je crois, l’homme de loi ne s’était montré à nous avec plus de franchise. Il y a dans ce rôle des phrases qui semblent écrites par un clerc de la basoche : « Il n’y a pas de nullités, mais on peut en trouver. Je n’ai jamais calomnié personne, quoique avocat. » Ce sont là des traits pris sur nature et qui reviennent de droit au poète comique. J’ajouterai que la comédie nouvelle ne porte nulle part l’empreinte de l’imitation. En écoutant ce dialogue tour à tour comique et passionné, chacun de nous se sent à l’aise, car chacun de nous se trouve en présence de ses propres souvenirs, et voit dans les personnages qui marchent et parlent devant lui l’image des intérêts et des affections dont se compose la vie ordinaire. Nulle prétention à la nouveauté, nul retour vers le passé; une gaieté spontanée, une passion sincère, tels sont à mes yeux les mérites qui recommandent la comédie nouvelle. Cet éloge se trouve dans toutes les bouches, et je ne suis ici que l’écho de la foule.

Tous ceux qui lisent avec attention les romans de M. Sandeau avaient depuis long-temps démêlé en lui une veine comique, et le succès qu’il vient d’obtenir ne les a pas étonnés. La foule, habituée à croire qu’il existe pour les compositions dramatiques des recettes particulières que les initiés se transmettent en se promettant le secret, s’est trouvée partagée entre le plaisir et la surprise. Pour moi, le succès n’était pas douteux, et je l’ai accueilli comme la preuve d’une vérité déjà démontrée.

Toutefois je croirais trahir la cause du bon sens en n’ajoutant pas le conseil à la louange. Oui, sans doute, Mademoiselle de la Seiglière est un comédie charmante, et pourtant j’invite M. Sandeau à ne pas remanier les pensées qu’il a déjà exprimées. Il faut désormais qu’il produise au théâtre des personnages et des incidens que le public ne connaisse pas. Il y a entre la pensée naissante et l’expression une attraction, une aimantation que rien ne peut remplacer. Les remaniemens les plus habiles n’ont jamais la puissance, l’énergie, la jeunesse d’une véritable création. Que M. Sandeau ne l’oublie pas; que les applaudissemens très légitimes obtenus par sa comédie ne l’étourdissent pas, ne l’aveuglent pas. Le succès de sa comédie eût été plus grand encore, si la pensée mise en œuvre eût été complètement nouvelle. La pensée naissante appelle l’expression abondante, colorée; la pensée remaniée soumet l’intelligence à de cruelles tortures. L’auteur abrège avec regret ce qu’il avait développé ; il développe à contre-cœur ce qu’il avait indiqué. Tous ceux qui ont passé par cette épreuve savent ce qu’il en coûte pour transformer le récit en action. Aussi j’espère bien que M. Sandeau nous donnera dans quelques mois une comédie dont tous les élémens, sujet, incidens et personnages, seront tirés de ses souvenirs, et n’auront pas à subir une comparaison toujours dangereuse. En procédant ainsi, il sera dispensé de ramener aux proportions de la vie réelle les figures qu’il s’est plu à revêtir d’une beauté idéale; il ne sera pas obligé de couper les ailes aux rêves de son imagination. Il y a d’ailleurs une si profonde différence entre les