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Moscou un tableau très exact et qui fait honneur à sa verve caustique. Deux agréables comédies de M. Tourguénieff, Un Déjeuner chez le maréchal de la noblesse et la Demoiselle de province, forment l’appoint du répertoire moderne de la scène russe, qui n’est guère riche, on le voit, malgré les heureuses tentatives de Gogol et de Griboëdoff. A quelle cause attribuer cette pénurie? La société moscovite est jeune, les hommes d’esprit n’y manquent pas, le public est facile, la censure indulgente, les sujets de comédie abondans. Le genre dramatique rencontrerait-il, pour s’acclimater en Russie, d’invincibles obstacles dans le caractère, dans l’esprit national? Nous aimons mieux croire que le théâtre aura un jour en Russie son génie créateur, comme la poésie a eu le sien dans Pouchkine, et le roman dans Gogol, En attendant que ce maître se présente et se fasse accepter, c’est la traduction des pièces françaises, et surtout de nos vaudevilles, qui alimente la scène russe.

Le génie moscovite est essentiellement conteur; aussi le roman, et le roman de mœurs particulièrement, est-il de tous les genres littéraires celui que les écrivains russes cultivent avec le plus de succès. Depuis une vingtaine d’années, il a paru un nombre considérable de récits, de nouvelles destinés à peindre la vie russe. Dans ce cadre commode, aperçus sérieux et scènes pittoresques, types et physionomies de toutes les époques, de toutes les classes, trouvent naturellement place, et concourent ainsi à reproduire les aspects les plus variés de la civilisation moscovite. Constamment préoccupée d’elle-même, de son passé comme de son avenir, la Russie ne pouvait manquer d’encourager les jeunes écrivains qui transportaient sur le terrain du roman cette tendance nationale. Qu’il vise à l’intérêt historique ou à la profondeur philosophique, qu’il cherche à peindre les mœurs rustiques ou les mœurs mondaines, qu’il s’efforce simplement d’émouvoir par les combinaisons de l’intrigue, le roman sous toutes ses formes garde en Russie un caractère essentiellement local : c’est toujours l’étude de la vie sociale qui domine et ramène vers un centre commun les inventions du conteur,

A part Gogol, qu’il faut placer hors ligne, à part M. Solohoupe, qui va nous occuper, la phalange des romanciers russes compte encore plus d’un talent original et digne d’être cité. Nous nommerons M. Gantcharoff, écrivain plein de fraîcheur, et qui porte dans la satire une exquise finesse; M. Grigorovitch, qui s’est plu à reproduire, — et il l’a fait avec un grand bonheur, — les mœurs agrestes des campagnes, les souffrances ou les joies des populations rustiques. — Parmi les nouvelles de M. Grigorovitch, Antoine le misérable et le Pauvre diable se distinguent surtout par le charme et la vérité des portraits. M. Boutkoff est, comme M. Grigorovitch, un peintre habile et délicat de la vie