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à nos moindres impressions. C’était presque un événement pour nous que d’avoir rencontré une de ces femmes aux pieds mutilés, à la démarche chancelante, que l’on voit quelquefois, des fleurs dans les cheveux, du fard sur les joues, se glisser le long des murailles, péniblement appuyées sur le manche de leur parasol. Au bout de quelques mois, nos yeux s’habituèrent à des spectacles plus étranges. Nous cessâmes de nous regarder à Macao comme des voyageurs, et cette ville hospitalière ne fut plus pour nous un objet de curieuses investigations: ce fut le nid où nous venions nous abattre après nos longues croisières dans les mers de l’Indo-Chine, le refuge où nous attendaient des amitiés fidèles, ce que nos matelots enfin avaient appelé la petite France.


II.

En apprenant que le pavillon français venait de reparaître sur les côtes de Chine, le vice-roi de Canton avait témoigné une satisfaction qu’on pouvait croire sincère. Il se montra empressé à recevoir le représentant d’une puissance qu’il avait toujours trouvée bienveillante envers le Céleste Empire, et cet empressement abrégea notre premier séjour sur la rade de Macao. La Bayonnaise ne pouvait conduire jusqu’à Canton le successeur de M. de Lagrené, M. Forth-Rouen; mais elle se tint prête à remonter le Chou-kiang jusqu’au mouillage de Wampoa. C’est a ce mouillage que s’arrêtent les navires étrangers, et que les bateaux chinois viennent chercher les marchandises qu’ils transportent dans la capitale du Kouang-tong ou dans l’intérieur de la province. On compte soixante-cinq milles de Macao à Wampoa, neuf seulement de Wampoa jusqu’à Canton.

Le 12 janvier, portant au grand mât le pavillon du ministre de France, la Bayonnaise appareillait de la rade de Macao et ouvrait encore une fors ses larges voiles à la brise. Le ciel était bleu et pur, l’air vif, le soleil radieux. Le vent du nord avait balayé les humides vapeurs que la mousson rassemble dans le canal de Formose, et qu’elle roule ordinairement le long des côtes méridionales de la Chine. Inclinée sous ses huniers et ses basses voiles, obligée de louvoyer pour entrer dans le fleuve, la corvette courait une première bordée vers l’île de Lantao, et traversait rapidement l’embouchure du Chou-kiang. Quinze milles séparent l’île de Lantao de la côte orientale de l’île Hiang-shan. Une seconde bordée nous conduisit près de l’île Lin-tin, qui, située plus au nord, à dix-huit milles du mouillage que nous venions de quitter, vit long-temps les lingots du Céleste Empire s’échanger contre le funeste produit des campagnes du Bahar et des plaines de Bénarès. Déjà pourtant la marée ramenait vers Canton les eaux limoneuses qui s’étaient épanchées jusqu’au groupe des Lemma, et la Bayonnaise, secondée par