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soulevé de nouveau par la marée, viendra reprendre son poste au milieu du fleuve.

Malgré l’intérêt que le spectacle de cette activité devait nous inspirer, Wampoa était trop près de Canton pour que notre impatience nous permît de nous y arrêter long-temps. Aussi, dès le lendemain de notre arrivée, nous empressâmes-nous de monter à bord du Firefly, véritable mouche à feu, microscopique steamer qui faisait alors deux voyages par jour entre Wampoa et Canton. Pendant que nous remontions rapidement la rivière des Jonques, nos yeux ne cessaient de se porter d’une rive à l’autre et de contempler ces verdoyantes rizières qui s’étageaient sur le penchant des coteaux, ces villages qui n’apparaissaient qu’à la dérobée entre les haies de bambous, ces temples à demi cachés sous les vastes rameaux du figuier des Banyans, ces tours qui dressaient dans le lointain leurs toits superposés et leurs galeries polygonales. Tout indiquait déjà l’approche d’une grande ville, d’un centre important de population. C’est ainsi que nous atteignîmes le barrage jeté, pendant la guerre de 1840, à l’issue de la rivière des Jonques. A peine eûmes-nous dépassé cette barrière impuissante et les forts si souvent humiliés qui la défendent, que les mâts rouges des mandarins, les premières maisons des faubourgs bâties sur pilotis et suspendues pour ainsi dire au-dessus du fleuve, les massifs escadrons des jonques rangées côte à côte, les blanches bannières agitées par la brise, le flot toujours grossissant des tankas, vinrent nous apprendre que nous touchions au port. Canton, en effet, ne tarda point à se montrer à nos regards, non plus enfoui au sein des lourdes murailles qui, enveloppant la cité tartare, ne nous avaient laissé apercevoir que les arêtes des toits entassés, non plus rampant dans la fange sur les bords souvent inondés du Chou-kiang, mais tel que nous l’avions rêvé, tel que les artistes chinois aiment à représenter la Venise du Céleste Empire : — dans le fond, les imposans édifices des factoreries européennes, les mâts de pavillon des consuls, et les couleurs fièrement déployées de l’Angleterre, du Danemark et des États-Unis; — sur le premier plan, la ville des cent mille bateaux, la ville flottante, avec ses avenues de palais aux façades dorées, aux verts et délicats treillages, avec ses longues rues de chaumières aux lambris de sapin et aux toits de bambou; pittoresque quartier, éblouissant de couleurs, étourdissant de mouvement et de bruit, fantastique comme un conte arabe ou comme une décoration d’opéra. De ce vaste faubourg symétriquement aligné sur ses ancres, chaque jour, aux premiers rayons du soleil, s’échappe un peuple immense qui va jeter ses filets dans le fleuve ou cultiver les riches campagnes de la plaine. Chaque soir aussi de discrètes gondoles viennent errer autour des palais mal famés qu’illuminent les lanternes de papier et les globes de soie, semblables