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les définitions et les traités de métaphysique pour revenir à la philosophie expérimentale. C’est des étincelles de la vérité historique que doit se composer le flambeau de la législation. » Il se prononce pour des réformes non par voie de révolutions, mais à l’aide de l’égalité civile, « qui doit guérir les fléaux nés des germes aristocratiques. » Il ne croit pas à l’économie politique comme science, mais il admet son utilité comme enquête purement locale et lorsque l’économiste borne ses observations au pays pour lequel et dans lequel il écrit. Il ne croit pas que le droit des gens puisse être élevé à la hauteur d’une science absolue, et pense qu’il dérive simplement des coutumes, des traités, et qu’il a été inventé pour mettre un peu d’ordre et de justice dans les imbroglios passionnés de l’histoire ; il a soutenu autant qu’il était en lui M. Necker et ses plans de réforme. Ainsi Mallet se présente à nous comme le premier qui ait apporté en France les doctrines genevoises, comme un précurseur de Dumont de Genève et de Sismondi.

Au milieu du débordement de l’écrivaillerie, comme disait Montaigne, Mallet tranche par ses mœurs et sa vie autant que par son talent sur les journalistes de l’époque. Il n’a jamais mené l’existence douteuse et souterraine de la plupart d’entre eux ; jamais n’ont pesé sur lui les soupçons qui pèsent sur eux tous, sur Linguet, sur Morande, sur Brissot, sur Beaumarchais et sur le plus grand de tous, hélas ! sur Mirabeau lui-même. Sa vie a toujours été modeste, et peut être fouillée en tous sens : elle a été discrète et ouverte à la fois. Au milieu de sa plus grande prospérité littéraire, alors qu’il rédigeait la partie politique du Mercure de France, que dirigeait le célèbre Panckoucke, il a toujours vécu retiré au milieu de sa famille et allait rarement dans les brillans salons de la capitale. Pendant l’émigration, il a vécu pauvrement et a donné ses conseils à peu près gratuitement aux cours souveraines qui les lui ont demandés. Mallet passe généralement pour un agent de la coalition, cela est inexact : c’est un conseiller passionné, mais désintéressé ; on ne peut dire qu’il ait été jamais à la solde d’un gouvernement. Lorsque, épuisé par le travail, il mourut en Angleterre, où il rédigeait le Mercure de Londres, ses amis, Lally-Tolendal et Malouet en tête, furent obligés de fournir aux frais de ses funérailles, et le gouvernement anglais dut subvenir aux besoins de sa famille. Il avait une haute idée de la dignité de l’écrivain et des devoirs qui lui sont imposés, et c’est lui qui, parlant de l’inefficacité des lois répressives sur la presse, a dit ces belles paroles, bonnes à retenir et à méditer : « La meilleure sauvegarde de la liberté de la presse, le plus efficace préservatif de son dérèglement, c’est la morale des auteurs, non pas la morale qu’en parle et qu’on imprime, mais celle qu’on pratique : le respect religieux de la vérité, l’honneur, l’habitude de la décence, et cette terreur utile qui devrait saisir tout homme de bien, lorsque sa plume va afficher une