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caractère immonde et faux. Le grand homme du moment, c’est Beaumarchais, un esprit pétillant comme du bois sec dans lequel la sève est dès long-temps tarie, brillant comme un feu d’artifice, mais sans flamme et même sans clarté, un phénomène comme le serait un feu sans chaleur. L’hypocrisie et le mensonge sont partout, et les ministres eux-mêmes osent mentir devant le roi. Nous trouvons dans le journal de Mallet Dupan, à la date du 17 avril 1787, l’anecdote suivante : « Le roi avait ordonné à M. de Calonne d’écrire à M. Joly de Fleury pour avoir l’examen qui avait été fait du Compte-Rendu après la retraite de M. Necker. M. de Fleury lui répondit que cet examen, fait par un ennemi de M. Necker, avait confirmé en tout l’exactitude du Compte-Rendu. Le roi demanda cette réponse. M. de Calonne, qui voulait gagner du temps, nia l’avoir reçue. Le roi en parla avec le garde-des-sceaux, qui, déjà mal avec M. de Calonne, dit : — Sire, il y a huit jours que M. de Calonne a cette réponse. En présence du roi, ils se querellèrent, s’accusèrent, et le roi prit le parti de les chasser. » Que dites-vous de cette scène ? Voilà un ministre, un gentilhomme qui ment à deux reprises, et qui ment devant son roi, lequel se contente de le chasser pour un acte qui méritait la Bastille ou l’exil. Bussy-Rabutin jadis avait dû traîner toute sa vie loin du monde où il était né pour un acte moins répréhensible. Cette anecdote, que nous prenons entre mille, ne témoigne-t-elle pas de la déraison générale ? Il y a à cette époque comme un universel ramollissement des cerveaux ; la nature morale de cette génération est desséchée autant qu’elle peut l’être, et l’imbécillité trône en souveraine. Patience, quelques jours encore, et le feu du ciel va tomber.

Et ces brochures et ces pamphlets, en avez-vous par hasard parcouru quelques-uns ? Il n’y a pas une sottise, un crime, un paradoxe de la révolution qui ne se retrouve par avance dans ces papiers, qui dorment aujourd’hui dans la poussière, leur lit naturel. Rien n’est curieux comme les conflits, les luttes qui s’engagèrent à la fin du dernier siècle, quelques années avant 89. Avec chaque discussion naît un nouveau danger : chaque brochure publiée en faveur de l’autorité l’ébranle ; chaque défenseur de la liberté, en revanche, salit la liberté ; chacun force son opinion et l’exagère si bien, qu’il lui fait rejoindre l’opinion opposée : l’anarchie rejoint le despotisme, et le despotisme l’anarchie. Il serait curieux de retrouver l’origine du socialisme dans ces contestations et ces polémiques entre l’ancien régime à son agonie et la révolution encore à l’état latent. Le plus célèbre de tous les journalistes d’alors, Linguet, ne faisait autre chose, dans ses livres et ses journaux, dans ses attaques contre l’Encyclopédie, contre les philosophes, que justifier le despotisme par des raisonnemens que ne désavoueraient pas tels ou tels de nos socialistes. Le sage Mallet lui-même, l’aristocrate Mallet, prenant la défense de Linguet, alors attaqué et poursuivi