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la lâcheté, de l’indécision, de la mollesse ; mais on n’avait jamais vu des gens attaqués se défendre en lisant un journal, se croire bien forts parce qu’ils se sont échauffé solitairement la tête à cette lecture d’une heure, et se croire sauvés parce que l’article du matin était énergique et menaçant. On remarquera les paroles fermes de Mallet. Il avait le droit de parler ainsi à ses lecteurs, car depuis trois ans il bravait le danger et, ce qui peut-être est plus difficile, le mécontentement de tous les partis. Une fois déjà, en 1790, il avait été dénoncé comme aristocrate et ennemi déclaré du peuple par les meneurs des clubs, et il eut à parlementer avec une députation menaçante qui vint lui demander compte de ses écrits. Un jour, il fut dénoncé à la tribune par Mirabeau lui-même. Tandis qu’il avait à soutenir les assauts que livrait contre lui Brissot dans le Patriote français et à répondre aux accusations de scélératesse dont il l’accablait, il lui fallait se défendre contre les pamphlets de l’émigration, qui commençait. « Un de ces braves, écrit Mallet, qui, à soixante lieues des frontières, ont encore le courage de garder l’anonyme, et qui accusent de lâcheté tous ceux qui, depuis trois ans, soutiennent à Paris le feu des événemens, vient d’instruire mon procès. Il a publié sa sentence à Coblentz et l’a réimprimée à Paris sous le beau titre de : Politique incroyable des Monarchiens, ou Lettre à M. Mallet Dupan, le chef, le coryphée de cette secte. » Il est aussi ferme en face de ses maladroits amis que de ses ennemis, et dans toutes les discussions il tient la balance juste.

Une autre cause de faiblesse, c’est une trop grande et trop exclusive culture intellectuelle sans aucun contre-poids. Il y aurait un beau chapitre à faire pour un La Bruyère moderne qui aurait traversé les guerres civiles, et qui pourrait être intitulé du danger d’être trop civilisé en temps de révolution. On ne sait pas tout ce que les raffinemens de l’esprit et de la civilisation ont de dangereux dans de telles périodes ; dans les époques de révolution, il est nécessaire pour un moment de redevenir barbare et d’échapper à l’influence de ses habitudes. Il serait facile de montrer que certaines qualités d’esprit, la politesse, la réserve, sont à certains momens de véritables dangers. En lisant quelques passages de Mallet, on aperçoit très bien la supériorité des malhonnêtes gens sur l’honnête homme à de pareils momens ; les coquins n’ont aucun scrupule, non-seulement à l’endroit des autres, mais à l’endroit d’eux-mêmes. Ils ne craignent pas d’avancer la première sottise venue et n’ont point peur de se compromettre. Regardez les proconsuls de la terreur et les conventionnels en voyage. La plupart sont des gens médiocres ; on voit arriver partout les Fréron, les Tallien, les Collot-d’Herbois, affichant une sorte de pompe barbare, déployant l’emphase la plus bouffonne, et débitant le plus sincèrement du monde les sottises les plus infâmes. Ces gens-là n’ont point peur du ridicule. Ils sont grotesques très souvent, mais leur