Mirabeau ? Faire rétablir la royauté à son déclin par la nation, restaurer la monarchie en lui donnant un caractère moderne et plus nouveau, lui donner le cachet de nos idées et la faire populaire et nationale, de féodale et absolue qu’elle avait été jusqu’alors. Dans cette pensée, il voulut pousser les choses assez violemment d’abord pour arracher la monarchie à ses anciens appuis, ensuite pour rendre le retour au passé irrévocable, en creusant un abîme infranchissable entre le présent et le passé ; il fallait manœuvrer de façon à ne rien détruire, mais de façon aussi à être mis en demeure de tout transformer. C’est là ce que voulut Mirabeau, et c’était en effet la seule chose qu’il y eût à faire. Il avait merveilleusement compris le secret des espérances nationales en ce précieux moment d’illusion de 1789 : rester en-deçà de ce moment, ce n’était rien faire ; aller au-delà, c’était tomber dans l’anarchie qui suivit. Or, Mounier et Malouet restaient en-deçà, Barnave et Lameth allaient au-delà ; ni les uns ni les autres ne comprirent rien à leur époque, et Mirabeau est à lui tout seul le représentant du système constitutionnel, l’interprète d’idées qui ne se sont jamais réalisées, faute d’avoir été comprises par un assez grand nombre d’esprits sains, et d’avoir rencontré, pour être mises en pratique, des mains assez vigoureuses. La révolution française aurait pu être la réalisation de ces idées ; mais, qu’on ne s’y trompe pas, la révolution est tout autre chose : elle est ce qu’ont voulu Barnave, Brissot et Robespierre, et non pas ce qu’a voulu Mirabeau, et 1789, dont ce grand esprit peut être regardé comme l’unique interprète, n’a jamais existé qu’en espérance et n’a été qu’un immense désir.
Tout fut vite perdu : la fureur remplaça l’espoir, et la révolution française prit les caractères qui devaient la distinguer dans l’histoire de tous les autres événemens : une rage de destruction mêlée d’inquiétude, une grande incertitude jointe à une obstinée résolution. Plongée dans le chaos de la corruption, la France eut le sentiment invincible qu’elle devait en sortir, que la vie était attaquée en elle, et fit des efforts désespérés pour atteindre ce but ; mais en même temps incertaine, et ignorante des vrais caractères du remède qu’elle cherchait, de la vérité à laquelle elle aspirait, elle demanda la santé et le repos à tous les événemens qui se présentèrent à elle. Jamais on ne mit plus de fureur dans l’hésitation, jamais on ne mit autant de tâtonnemens dans la poursuite d’un dessein ; ces hésitations et ces tâtonnemens durent encore. La France demandait une régénération, la Providence ne lui accorda qu’une grande purification ; n’importe (et c’est là ce qu’il ne faut jamais perdre de vue), ce qui fait l’éternelle moralité de la révolution, c’est que la France comprit qu’il n’y avait plus pour elle moyen de vivre, que tous les organes de la vie étaient viciés en elle, qu’elle avait perdu tous les véritables biens de l’homme, la croyance, le