Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/886

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se plaisait à faire le portrait ou plutôt la caricature de ses amis. On le dit l’inventeur de la caricature politique. Une lettre du Corrége lui propose de crayonner ses amis les ministres, et, pour le mettre en train, l’écrivain commence par les esquisser lui-même à la plume. De là une suite d’épigrammes qui ont été piquantes, si elles étaient vraies. Grafton, grand amateur de chevaux, de courses et de paris, est représenté comme un cocher qui écrase en passant la Grande-Bretagne. Conway est dans la voiture ; il voudrait la conduire, mais il tient encore plus à y rester. Conway, c’est la précaution sans la prévoyance. Lord Camden tient sous ses pieds les Loïs de l’Angleterre, et son regard oblique se fixe sur un poignard : c’est le droit naturel, l’arme qui lui sert à tuer le droit constitutionnel. Shelburne tient du jésuite et du diable ; c’est un parfait Malagrida. Le commandant en chef Granby et le secrétaire de la guerre tirent chacun un des bouts d’une corde dont le nœud du milieu étrangle l’armée. Enfin ce lunatique qui brandit une béquille ou qui braille à travers une grille, c’est Chatham. Puis des réticences, des points, des lignes en blanc, laissent deviner lord Bute et la source secrète de son crédit, et quelques paroles, si obscures qu’elles cessent d’être piquantes, désignent confusément le roi. Mais ce lord Townshend lui-même, à qui l’on s’adresse ainsi, quel homme est-ce ? C’est un militaire ; mais est-il brave ? le fut-il en Amérique ? le fut-il en Allemagne ? Survient Moderator, qui combat un correspondant qui l’affirme, et discute la question avec un sang-froid très offensant. Il ne dit pas non, mais il dit encore moins oui. Puis le même écrivain (c’est du moins l’avis de son éditeur) conduit le nouveau lord-lieutenant, pour recevoir ses instructions, devant le conseil. Là, dans une scène de proverbe, les ministres opinent tous, chacun selon le caractère qui résulte du portrait tracé par le Corrége. on parle long-temps, on ne conclut pas, et Townshend, en définitive, part sans instructions. Il paraît qu’en effet il n’en eut aucune, et ceux qui ont approché du gouvernement savent bien que rien n’est plus difficile, comme aussi rien n’est plus rare, que de donner des instructions. C’est une chose dont on parle beaucoup, mais qu’on ne voit guère. Qui sait assez ce qu’il veut pour ordonner dans un avenir incertain ? Qui ? Celui qui aime le pouvoir pour en user, sorte d’ambitieux qui n’est pas commune.

Cette scène offre quelque intérêt, quoique la plaisanterie nous paraisse assez froide, parce qu’elle est, ainsi que la lettre des portraits du Corrége, dans un genre étranger au talent de Junius. Le burlesque ni même le comique ne lui allaient, et il n’y est guère revenu, si toutefois ces deux pièces sont de lui, car nous n’avons pour le croire d’autre raison que le témoignage de l’éditeur de 1813, ce qui ne surmonte pas tous nos doutes. Quoi qu’il en soit, ce proverbe produisit