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observées, les formes seulement, car plus d’un reproche amer, plus d’une insinuation blessante est dissimulée par l’apparente généralité de certaines réflexions et couverte par la gravité et la dignité du langage. Voici la fin de cette lettre célèbre :


« Sans consulter votre ministère, convoquez votre conseil tout entier. Montrez au public que vous pouvez décider et agir par vous-même. Allez à votre peuple, mettez de côté les misérables formalités de la royauté, et parlez à vos sujets avec le courage d’un homme et dans le langage d’un galant homme. Dites-leur que vous avez été fatalement trompé. Cet aveu ne sera pas un abaissement, mais un honneur pour votre intelligence. Dites-lui que vous êtes déterminé à écarter toute cause de plainte contre votre gouvernement, que vous ne donnerez votre confiance à aucun homme qui n’aura pas celle de vos sujets, et que c’est à ceux-ci que vous laissez le soin de décider, par leur conduite dans une future élection, si réellement c’est ou ce n’est pas le sentiment général de la nation que ses droits ont été arbitrairement usurpés par la présente Chambre des communes et la constitution trahie. Ils feront alors justice à leurs représentans et à eux-mêmes.

« Ces sentimens, sire, et le style dans lequel ils sont exprimés, peuvent paraître offensans, peut-être parce qu’ils sont nouveaux pour vous. Accoutumé au langage des courtisans, vous mesurez leurs affections par la véhémence de leurs expressions, et, lorsqu’ils se bornent à vous louer indirectement, vous admirez leur sincérité. Mais ce n’est pas le moment de jouer avec votre fortune. Ils vous trompent, sire, ceux qui vous disent que vous avez beaucoup d’amis dont l’affection se fonde sur un principe d’attachement personnel. Le premier fondement de l’amitié n’est pas le pouvoir d’accorder des bienfaits, mais l’égalité qui fait qu’après les avoir reçus on peut les rendre. La fortune, qui a fait de vous un roi, vous a interdit d’avoir un ami. C’est une loi de la nature qui ne peut être violée avec impunité. Le prince abusé qui cherche l’amitié trouve un favori, et, dans ce favori, la ruine de ses affaires.

« Le peuple de l’Angleterre est loyal envers la maison d’Hanovre, non par une vaine préférence donnée à une famille sur une autre, mais par la conviction que l’établissement de cette famille était nécessaire au soutien de ses libertés civiles et religieuses. C’est là, sire, un principe d’allégeance, à la fois solide et raisonnable, fait pour être adopté par des Anglais, et bien digne des encouragemens de votre majesté. Nous ne pouvons être plus long-temps abusés par des distinctions nominales. Le nom des Stuarts en lui-même n’est que méprisable ; armés de l’autorité souveraine, leurs principes sont redoutables. Le prince qui imite leur conduite devrait être averti par leur exemple ; et tandis, qu’il s’enorgueillit dans la sécurité de son titre à la couronne, il devrait se rappeler que ce qui a été gagné par une révolution peut être perdu par une autre. »


Cette lettre produisit la sensation la plus vive, et chacun se demanda si une telle audace devait rester impunie. L’exemple en était contagieux. Junius réussit à propager l’idée de recourir au roi, et, en lui dénonçant ministère et parlement, de le mettre en demeure de