Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/904

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la chambre élective avaient conduit à des idées de réforme parlementaire. Sur cette question encore neuve, il y eut divergence d’idées et de projets. Junius se jeta dans ces controverses aujourd’hui oubliées. Il s’était, vers ce temps, rapproché de Wilkes, avec lequel, sans se faire connaître, il entretint quelques correspondances privées. Il voulut le conseiller ; il le combattit dans son opposition à la presse des matelots. Il le soutint dans une querelle avec Horne Tooke, contre lequel il engagea lui-même sa discussion la moins heureuse. Il désapprouva plus d’une fois la société du bill des droits, réduisit ses idées de réforme à l’institution des parlemens triennaux, et entreprit d’amener Wilkes à céder ses prétentions au titre de lord-maire à Sawbridge, qui devint dans la chambre des communes le promoteur périodique de cette idée de la triennalité parlementaire. Il réussit incomplètement dans ces diverses tentatives, et c’est de cette époque que la puissance extérieure de l’opposition parut décliner, et le ministère s’affermir. Il faudrait entrer dans trop de détails pour rendre intéressante l’analyse de cette fin de la correspondance de Junius, laquelle se termine, le 21 janvier 1772, par une lettre à lord Camden, pour l’exciter à relever contre lord Mansfield la question des droits du jury dans les affaires de presse.

Mais, dès l’année 1769, Junius avait conçu un dessein qui l’occupa bientôt tout entier. Il songea, excité par son imprimeur, à publier en un corps d’ouvrage le recueil de ses lettres, et il donna beaucoup de soins à cette édition, qu’il compléta par une dédicace, une préface et quelques notes. L’ouvrage, qui parut le 3 mars 1772, est dédié à la nation anglaise. C’est dans cette épître qu’il promet à son livre, à cause seulement des principes qu’il renferme, un regard de la postérité ; mais il se défend de toute vanité, « car, ajoute-t-il, je suis seul dépositaire de mon secret, et il périra avec moi. »

La préface est une défense de la liberté de la presse : la portée de cette liberté tutélaire, la protection qui lui est due, sa puissance, qui contiendrait le despotisme lui-même, si elle pouvait exister sous le despotisme, la plénitude de juridiction des jurés auxquels la loi attribue le droit d’en connaître, toutes ces vérités, désormais familières aux pays libres et encore imparfaitement comprises à l’époque où Junius écrivait, sont établies une dernière fois. On peut dire que c’est de ce temps que date la vraie doctrine de la liberté de la presse, telle qu’elle est professée et pratiquée en Angleterre, et telle que tous les esprits fermes la conçoivent encore en France, même depuis que la révolution de 1848 a porté une si rude atteinte aux principes de la liberté.

Il nous semble que Junius n’a réussi qu’à cela. Comme tentative politique, sa correspondance n’a rien produit. Lorsqu’il a quitté l’arène, il n’avait, sur aucun point, remporté la victoire. Wilkes était toujours